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L’obstétrique constitue-t-elle un domaine à risque élevé de la pratique infirmière devant la loi?
Plusieurs facteurs poussent à considérer l’obstétrique comme un domaine de pratique risqué devant la loi. Tout d’abord, les poursuites en justice et les incidents sont relativement courants en obstétrique et en néonatalogie. Deuxièmement, il est impossible de prévoir quels bébés auront de mauvais résultats. Dans les poursuites en justice portant sur des bébés compromis à la naissance, la majorité des bébés sont nés à terme et de poids normal à la naissance2. Autrement dit, ces bébés font partie de la population la plus importante de patients en obstétrique et ils ont des caractéristiques qui peuvent porter à considérer au départ qu’ils présentent un risque plus faible de mauvais résultats. Troisièmement, la défense, le règlement ou la perte de telles poursuites coûtent très cher financièrement. L’impact psychologique qui découle du fait d’être partie à une procédure judiciaire est plus difficile à quantifier, mais il est indéniable.
Quels aspects des soins infirmiers en obstétrique exigent une diligence particulière?
a) Surveillance de la santé du fœtus pendant le travail
La loi reconnaît qu’il incombe avant tout à l’infirmière de surveiller la santé du fœtus pendant le travail : « Dans le concept de l’équipe d’obstétrique, chacun des professionnels a un rôle particulier à jouer et l’infirmière de chevet doit notamment surveiller comme il se doit l’état du fœtus et signaler ses inquiétudes à un chef d’équipe, un interne, un résident, ou à l’obstétricien traitant » 3. On a établi divers guides pour aider les praticiens à accorder au fœtus la surveillance du type et de l’importance nécessaires pendant le travail et compte tenu de la santé de la mère et de l’enfant pendant l’accouchement4. Une décision des tribunaux sur ce qui constitue des soins infirmiers raisonnables compte tenu des circonstances, y compris la surveillance du fœtus, ne reposera pas uniquement sur une série donnée de guides cliniques. Pour déterminer la norme de soin, un tribunal peut se fonder sur les politiques de l’établissement, la disponibilité de l’équipement et du personnel, ainsi que sur le type d’établissement.
Une récente poursuite en justice montre qu’une auscultation intermittente appropriée pendant le premier et le deuxième stades d’un travail normal et sans problème ne constitue pas une négligence, même si le bébé a souffert de déficits que l’on prétendait reliés à la naissance5. La mère avait connu une grossesse et un travail sans problème. On a évalué la fréquence cardiaque fœtale [FCF] pendant le premier et le deuxième stades au complet au moyen d’un appareil Doptone et consigné la FCF aux trois à quatre minutes. L’intervalle le plus court s’établissait à deux minutes et le plus long, à huit minutes. Lorsque la tête du fœtus est sortie, on n’a pu détecter de FCF. Ce qu’on a attribué à la position profonde du fœtus dans le bassin. Seize minutes s’étaient écoulées depuis la dernière FCF audible lorsque le médecin a procédé à une épisiotomie. L’accouchement a été rapide, mais le bébé est atteint de paralysie cérébrale. On a soutenu que les infirmières avaient fait preuve de négligence en ne surveillant pas comme il se doit la mère et le fœtus et en fournissant ainsi des données insuffisantes aux médecins. Les infirmières ont témoigné au cours du procès et leurs notes ont servi en preuve. Les évaluations documentées par les infirmières ont révélé leur présence constante au cours du deuxième stade, ce qui était conforme à la norme de soin. La poursuite pour négligence intentée contre l’hôpital a donc été rejetée6.
b) Surveillance de l’effet des mesures prises pour provoquer ou accélérer le travail
Il faut surveiller attentivement les effets des agents de ramollissement du col et de la stimulation de l’utérus. Dans le contexte d’une récente poursuite en justice, les parents du bébé compromis ont affirmé que le tracé de monitorage électronique fœtal montrait une hyperstimulation de l’utérus après le début d’une perfusion d’oxytocine. La cour a soutenu que le médecin et l’infirmière avaient tous deux fait preuve de négligence en ne tenant pas compte de l’information affichée par le tocodynamomètre. Elle a affirmé que « même si l’information affichée par le tracé de monitorage n’est pas déterminante, la profession obstétrique la reconnaît et l’accepte en général comme une source précieuse d’information dont il faut tenir compte de concert avec la palpation et tout autre signe clinique. Ce n’est pas une source d’information qu’il faut oublier ou rejeter d’emblée sans l’évaluer, la réévaluer et en discuter7 ».
c) Réanimation du nouveau-né
Des intervenants qui s’occupent de femmes en travail et qui n’utilisent pas les techniques de base de réanimation néonatale risquent d’être tenus responsable de négligence. Par exemple, une infirmière a été tenue responsable de négligence lorsqu’elle a assisté à un accouchement par le siège d’un prématuré8. La cour a affirmé que l’infirmière aurait dû aider la mère pendant qu’elle accouchait au lieu de s’occuper à préparer la salle d’accouchement. Elle aurait dû essuyer le bébé, le déposer dans un incubateur, aspirer les sécrétions et lui administrer de l’oxygène. Elle n’avait rien fait de tout cela lorsque le médecin est arrivé trois minutes après l’accouchement pour trouver le bébé entre les jambes de la mère. Il ne respirait pas, était flasque, bleu et froid.
d) Encadrement de collègues nouveaux en obstétrique
La technique et l’expertise s’acquièrent avec le temps seulement et c’est pourquoi il importe d’assurer que les nouveaux professionnels en obstétrique, tant médecins qu’infirmières, savent où trouver de l’aide. Une poursuite en justice à la suite de laquelle une infirmière nouvellement autorisée et une chef d’équipe d’obstétrique chevronnée ont toutes deux été tenues responsables de négligence illustre l’importance de l’encadrement9. La nouvelle infirmière de chevet a fait preuve de négligence en ne reconnaissant pas une tendance non rassurante de la fréquence cardiaque fœtale qui a duré plus de deux heures, en ne prenant pas de mesures de conservation (changement de position, etc.) et en ne communiquant pas avec un médecin lorsque les mesures en question n’ont pas porté fruit. La chef d’équipe a été tenue responsable de négligence dans sa surveillance de la nouvelle infirmière et ses communications avec les membres de l’équipe de soins de santé. Lorsque la nouvelle infirmière a dit à sa chef d’équipe qu’elle avait de la difficulté à s’occuper de deux patientes en travail et qu’elle avait besoin d’aide, celle-ci lui a répondu qu’elle travaillait dans un service occupé et qu’elle devrait mieux s’organiser. La chef d’équipe n’a pas évalué la situation ni pris de mesure pour s’assurer qu’une infirmière chevronnée le faisait.
e) Documentation
Les notes au dossier doivent refléter les évaluations les plus récentes, à mesure qu’elles sont faites, de façon à assurer que la décision relative au traitement repose sur de l’information exacte. Lorsqu’on documente sur une feuille de cheminement clinique, il faut éviter de le cocher simplement, ce qui ne permet pas d’identifier l’auteur de l’intervention. Il faut ajouter des notes infirmières narratives au besoin. Il faut signaler les communications pertinentes avec les membres de l’équipe. Il faut s’assurer que l’horloge de l’équipement électronique indique l’heure exacte. Il ne faut pas oublier qu’une bonne documentation peut servir à vous exonérer.
- Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, Syllabus du cours GESTA (8e éd) à la p. 2.
- Granger (Litigation guardian of ) c. Ottawa General Hospital, [1996] O.J. no 2129 (Div. gén.) au para. 97.
- Par exemple, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, Guide de pratique, Surveillance du bien-être fœtal durant le travail, no 112, mars 2002.
- Johnson-Coy c. Barker, [1995] B.C.J. no 862 (B.C.S.C.).
- La poursuite pour négligence intentée au médecin a aussi été rejetée. Le juge a déclaré que la décision qu’elle a prise d’intervenir afin d’accélérer l’accouchement était conforme à la norme de soin. Pour obtenir plus de renseignements sur le lien légal entre les infirmières et leurs employeurs, voir les infoDROIT suivants : La négligence (vol. 3, no 1, septembre 1994), Responsabilité du fait d’autrui (vol. 7, no 1, avril 1998) et Ce que vous devriez savoir sur les poursuites pour faute professionnelle (vol. 7, no 2, septembre 1998) sur le site Web www.spiic.ca.
- Kuan (Guardian ad litem of) c. Harrison, [1997] B.C.J. no 1215 (B.C.S.C.) au para. 45.
- Martin c. Listowel Memorial Hospital, [1998] O.J. no 3126 (Cour de l’Ontario, Div. gén.)
- Supra note 3.
N.B. : Dans ce bulletin, le genre féminin englobe le masculin, et inversement, quand le contexte s’y prête.
Septembre 2002
LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.