Les soins infirmiers péri-opératoires sont une spécialité complexe des soins infirmiers qui englobe les soins dispensés avant, pendant et après une chirurgie. La jurisprudence contribue à cerner les risques physiques potentiels pour les patients qui subissent une chirurgie et les risques juridiques possibles pour les infirmières de salle d’opération. Cet article présente une variété d’études de cas qui mettent en lumière certains des risques juridiques associés aux soins péri-opératoires.
Les résumés qui suivent sont des cas canadiens réels; ils sont présentés afin de rappeler que les professionnels de la santé réglementés sont également responsables de ce qui est de leur ressort. La vigilance des membres de l’équipe péri-opératoire comprend de nombreuses pratiques et procédures qui contribuent à éviter que les patients ne subissent des préjudices. L’objectif des soins de qualité dans le contexte péri-opératoire est soutenu par des mesures visant à assurer la sécurité des patients telles que la Liste de vérification d’une chirurgie sécuritaire et le document Les événements qui ne devraient jamais arriver dans les soins hospitaliers au Canada de l’Institut canadien pour la sécurité des patients (ICSP).
Soins préopératoires
Consentement
Le praticien qui propose une intervention chirurgicale est responsable d’obtenir le consentement éclairé du patient. Les infirmières jouent un rôle crucial dans l’éducation des patients et pour veiller à ce que le bon patient soit préparé pour la bonne chirurgie. Ce rôle est bien illustré dans un cas où une patiente devait subir une nouvelle chirurgie afin de réparer des dommages aux tissus mous liés à une intervention chirurgicale antérieure. Pendant la vérification préopératoire, la patiente a insisté pour écrire une phrase supplémentaire sur le formulaire de consentement indiquant qu’elle voulait qu’une partie de tissus soit rattachée. La patiente a également demandé à l’infirmière de ne pas laisser le chirurgien faire une excision de cette partie de tissus. L’infirmière a présumé que la patiente en avait discuté avec le chirurgien et n’a donc pas abordé le sujet avec ce dernier. À la suite de l’intervention, la patiente a découvert que l’excision avait été faite malgré sa demande. La patiente a déposé une réclamation contre le chirurgien et l’infirmière, et il a eu gain de cause. Le tribunal a jugé que l’infirmière se serait acquittée de son obligation si elle avait avisé le chirurgien des préoccupations de la patiente.1
Infection
Un patient qui était connu comme étant porteur de staphylococcus aureus est décédé d’une septicémie à la suite d’une splénectomie. La cause du décès était une septicémie staphylococcique. Avant la chirurgie, on a fourni au patient une tondeuse afin qu’il tonde ses propres poils. En tondant ses poils, le patient s’est égratigné à l’abdomen à plusieurs reprises, mais le personnel infirmier du bloc opératoire a omis de le noter. L’épouse du patient décédé a intenté une poursuite contre les infirmières et le médecin. Le juge a conclu que la septicémie du patient avait été causée par une préparation inadéquate de la peau et que le personnel infirmier du bloc opératoire en était responsable puisqu’il n’avait pas respecté le protocole de préparation de la peau. En ce qui concerne le chirurgien, le juge a estimé qu’il n’était pas responsable et qu’il était en droit de se fier aux infirmières pour effectuer leurs tâches de manière appropriée. Le juge a également évoqué le rôle des infirmières de la salle d’opération et affirmé que si celles-ci avaient vu les égratignures et avaient omis de les signaler au chirurgien, elles seraient elles aussi responsables.2
Mauvais endroit
Une patiente présentait une grosseur de trois centimètres à la position « 5 heures » au sein gauche. Avant l’intervention chirurgicale, le chirurgien est venu dans la salle d’opération et a palpé le sein gauche de la patiente. L’intervention a commencé et le chirurgien a retiré des tissus à la position « 10 heures ». Lors de sa visite postopératoire, la patiente a avisé le chirurgien qu’il avait retiré des tissus au mauvais endroit. La patiente a consulté un deuxième chirurgien qui a retiré la lésion. Celle-ci était bénigne. La patiente a intenté une poursuite et a obtenu gain de cause contre le premier chirurgien. Le juge d’instance a déclaré que tous les chirurgiens qui opèrent les seins devraient avoir pour pratique d’indiquer l’endroit à opérer avec un marqueur avant la chirurgie. Et il a jugé que la conduite du chirurgien était inférieure aux normes de soins puisqu’il avait omis de consulter la patiente pour confirmer l’endroit exact de la lésion avant de commencer l’opération, ce qui a fait en sorte qu’il a retiré les mauvais tissus.3
Soins peropératoires
Corps étrangers/Oubli d’une éponge
Une patiente souffrait d’une grave infection postopératoire après avoir subi une neurectomie antéro-sacrée. Une laparotomie a été réalisée et un rouleau de gaze non opaque aux rayons de 1,82 m de long et de 15,24 cm de large a été découvert à l’intérieur de la patiente. Deux mois se sont écoulés avant que le chirurgien n’informe la patiente de la découverte du rouleau oublié. La patiente a intenté une poursuites contre l’hôpital, le personnel infirmier de la salle d’opération et le chirurgien, et elle a obtenu gain de cause. L’hôpital a été jugé responsable du fait d’autrui pour la négligence de son personnel infirmier, qui n’avait pas inclus le rouleau dans le compte opératoire de la neurectomie antéro-sacrée. Le chirurgien a été jugé responsable de ne pas avoir procédé à une exploration de l’abdomen avant d’avoir refermé l’incision et d’avoir tenté de cacher la vérité à la patiente. Le juge a réparti également la responsabilité de l’oubli de l’éponge entre les infirmières et le chirurgien et a ajouté des dommages-intérêts majorés et punitifs au chirurgien en raison de sa tentative de dissimulation.4
Brûlures
Un patient a subi des brûlures du deuxième degré à la fesse pendant une opération visant à enlever des lésions rectales. Le cautère a enflammé des vapeurs de solution antiseptique qui s’était accumulée entre la fesse du patient et la table de la salle d’opération dans un endroit caché par le drap de lithotomie. Au procès, le médecin a été jugé responsable. Ni l’hôpital ni les infirmières n’ont été jugés responsables. Le juge a déclaré que les avertissements qui figuraient sur la bouteille d’antiseptique et les renseignements contenus dans le manuel sur les instruments utilisés en électrochirurgie « imposaient au chirurgien de connaître ou de devoir connaître les dangers de les utiliser à proximité les uns des autres ». Ces avertissements imposaient également au chirurgien un devoir d’inspection qui n’a pas été observé.5
Soins procéduraux
Le principal objectif de la documentation infirmière est de consigner des renseignements pertinents sur le patient afin que celui-ci reçoive des soins appropriés de la part de tout travailleur de la santé lui étant affecté. Elle joue également le rôle de registre des communications entre les professionnels de la santé. L’importance de remplir la documentation infirmière au moment où les soins sont dispensés est illustrée dans une poursuite contre un hôpital et plusieurs chirurgiens attribuant des complications postopératoires à un syndrome de loges non diagnostiqué et non traité. Dans ce cas, le patient s’est plaint de douleur le lendemain d’une ostéotomie de dérotation du tibia et du péroné. Les infirmières avaient mené et documenté des évaluations postopératoires; toutes les évaluations et interventions subséquentes demandées par le résident en orthopédie. Néanmoins, le patient prétendait avoir développé un syndrome de loges en raison de la négligence de son équipe soignante. Le dossier, qui indiquait la date et l’heure auxquelles les notes des infirmières ont été consignées, a été utilisé comme preuve dans le cadre du procès. Pendant le contre-interrogatoire, le patient a admis que dans les cas où les notes consignées par les infirmières ne correspondaient pas à ses souvenirs des événements, on devrait considérer que les notes des infirmières permettaient de dresser un portrait plus fidèle des événements. La réclamation du patient a été rejetée.6
Dans un autre cas impliquant la documentation sur les soins procéduraux, une patiente avait aspiré des aliments provenant de son estomac au cours d’une gastroscopie. Elle est décédée deux jours plus tard des suites de cet incident. Le juge a estimé que le gastroentérologue avait fait preuve de négligence en ce qui a trait aux instructions diététiques données à la patiente, ainsi qu’en poursuivant la gastroscopie après avoir constaté la présence d’aliments et de liquide dans l’estomac de la patiente. Le tribunal a indiqué que les témoignages ne concordaient pas quant au moment où la régurgitation s’était produite parce qu’il n’y avait rien dans les notes prises au cours de l’intervention dans le dossier de l’hôpital à propos du moment où la régurgitation avait commencé ou pris fin. Il s’agissait d’un important événement survenu en cours de procédure qui aurait dû être consigné dans le dossier de la patiente afin qu’il soit pris en compte dans les soins fournis à la patiente à la suite de la procédure.7
Soins post-anesthésiques
Le tribunal peut juger que certains renseignements consignés dans le dossier d’un patient ne sont pas fiables si des inexactitudes sont relevées dans ces renseignements. Une poursuite pour faute professionnelle a été intentée après qu’une patiente, qui avait été admise à l’hôpital sept jours postpartum en raison de saignements vaginaux, est décédée à la suite de la troisième chirurgie d’urgence réalisée pour enrayer ces saignements. La famille de la patiente croyait qu’elle était décédée en raison d’une administration négligente de dopamine.
La dopamine avait été commandée et administrée à la patiente entre deux chirurgies afin de tenter de la stabiliser. L’infirmière qui avait commencé la perfusion et dosé la dopamine a témoigné au procès; elle a répondu à des questions à propos des notes consignées à ce moment. L’infirmière a affirmé qu’après le transfert de la patiente vers un autre hôpital, elle a consigné les notes au dossier en reconstituant ce qui s’était produit au cours des trois heures précédentes en se basant sur les notes qu’elle avait été en mesure de prendre au fil des événements. Cela a engendré des inexactitudes dans les heures auxquelles certaines interventions avaient été effectuées. Le recoupement des notes qu’elle avait consignées et du relevé du moniteur cardiaque a permis d’établir qu’il y avait un écart de près de 20 minutes.
Les témoins experts disposaient de rapports écrits et ont fondé leur opinion sur les événements documentés dans le dossier, qui était désormais considéré comme étant inexact. Leurs opinions sur le moment où le cerveau de la patiente a subi des dommages n’ont pas pu être admis en preuve. Le procès a été retardé de trois semaines afin que les témoins experts puissent reconsidérer leurs opinions.8
Gestion du risque
Les stratégies de gestion du risque peuvent réduire les cas de préjudice pour les patients et le risque de responsabilité possible. Ces stratégies peuvent inclure :
- Assurez-vous d’avoir la formation, l’expérience et les compétences appropriées.
- Respectez les lignes directrices et les normes professionnelles, ainsi que les politiques de l’établissement.
- Tenez-vous au courant en assistant aux conférences organisées au sein de votre établissement et aux conférences spécialisées (p. ex. celles de l’Association des infirmières et infirmiers de salle d’opération du Canada (AIISOC)), en lisant les revues et les articles professionnels et en obtenant une certification spécialisée, le cas échéant.
- Relevez, documentez et signalez les préoccupations liées à la sécurité des patients.
- Signalez tout événement indésirable par l’entremise des canaux de communication appropriés.
- Consultez des ressources en matière de gestion du risque telles que le service de gestion du risque de votre employeur et la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada.
Les bénéficiaires de la SPIIC peuvent communiquer avec la Société en composant le 1 800 267-3390 pour parler à l’un de ses conseillers juridiques. Tous les appels sont confidentiels.
- Keane c. Craig (2000) no 2160 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) (Qualité de vie (QV))
- Crandell-Stroud c. Adams (1993), N.J. no 224 (C.S. (T.D.)) (QL)
- Ainsworth c. Ottawa General Hospital, [1999] no 2157 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) (QL)
- Shobridge c. Thomas, (1999) B.C.J. no 1747 (C.S.) (QL)
- McSween c. Louis (1997) Cour supérieure de justice de l’Ontario no 3702 au para. 26 (Ct. J. (Div. Gén.)) (QL)
- Ball c. Amendola (2009) CanLII 55309 (Cour supérieure de justice de l’Ontario)
- Rycroft Estate c. Gilas (2017) no 1021 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) (QL)
- Dybongco-Rimando Estate c. Lee (1999) no 1426 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) (QL). Dans le cadre d’un procès ultérieur, le tribunal a déterminé que les médecins de la patiente avaient fait preuve de négligence; voir Dybongco-Rimando Estate c. Lee (2001) no 3658 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) (QL)
N.B.: Dans ce bulletin, le genre féminin englobe le masculin, et inversement, quand le contexte s’y prête.
Décembre 2007, Révisé en mars 2024
LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.