LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.
L’enregistrement de données exactes et la surveillance adéquate de la mère et du fœtus sont des éléments fondamentaux de la gestion des risques juridiques auxquels les infirmières en obstétrique peuvent se trouver exposées.
Ce sont les infirmières en périnatologie (celles qui dispensent des soins pendant le travail et l’accouchement, des soins à la mère et des soins néonatals) qui déclarent le plus fréquemment des poursuites ou des incidents – des événements qui risquent de donner lieu à des poursuites – à la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada (SPIIC). En cinq ans, entre 1998 et 2002, 16,2 pour 100 de tous les incidents et 20,3 pour 100 de toutes les poursuites déclarées à la SPIIC l’ont été par des infirmières en périnatologie. Les deux pourcentages sont les plus élevés dans leur catégorie respective. 1
Pour aider ces infirmières à gérer leurs risques juridiques, la SPIIC a publié en 2002 une feuille de renseignements dans infoDROIT sur les soins infirmiers en obstétrique. 2 En même temps, la SPIIC a reçu de nombreux appels en 2002 demandant qu’une infirmière avocate vienne parler de la gestion des risques aux infirmières en périnatologie. En conséquence, je me suis adressée aux infirmières à l’occasion de congrès et d’ateliers organisés à Ottawa, Calgary, Edmonton, Regina et ailleurs. Lors de toutes ces rencontres, j’ai noté une préoccupation commune chez les infirmières au sujet de l’auscultation intermittente de la fréquence cardiaque fœtale (FCF). Ce sont les débats entre les infirmières en obstétrique sur cette question qui ont inspiré le présent article.
Les infirmières en obstétrique qui assistaient aux ateliers étaient au courant du fait que la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada avait révisé, en mars 2002, ses directives cliniques sur la surveillance du bien-être fœtal durant le travail. 3 Cela était nécessaire puisque la surveillance du fœtus pendant le travail est en grande partie la responsabilité de ces infirmières et que cela a été reconnu en droit. « Dans le cadre du principe d’équipe d’obstétrique, chacun des professionnels en cause a un rôle particulier, et l’une des responsabilités de l’infirmière est de surveiller correctement l’état du fœtus et de faire part de toute préoccupation à un chef d’équipe, un interne, un médecin résident ou à l’obstétricien de service. » 4
Les infirmières présentes ont analysé leur propre pratique en matière d’auscultation intermittente de la fréquence cardiaque fœtale et en ont discuté ouvertement. Elles restaient préoccupées par le fait qu’une défense en droit n’aurait pas autant de chances de réussir si la surveillance du fœtus était assurée par auscultation intermittente plutôt que par un moniteur fœtal électronique. Le tracé sur papier généré par un moniteur fœtal électronique était considéré comme la « preuve tangible » du travail de l’infirmière. Afin de remettre cette opinion en question, je voudrais présenter ici la cause suivante concernant une allégation de faute professionnelle en obstétrique.
Les faits en l’espèce 5 sont que la mère enceinte avait choisi de se faire suivre par sa médecin de famille. Elle voulait que l’accouchement soit aussi naturel que possible avec intervention chirurgicale seulement si cela était nécessaire. Elle a eu une grossesse sans problème qu’elle a menée à terme. La perte spontanée des eaux a déclenché la première étape du travail qui a duré cinq heures, avec dilatation complète à 11 h. À partir de ce moment, la médecin est restée avec la patiente la plupart du temps ainsi que l’une des deux infirmières présentes ou les deux. La FCF a été évaluée pendant toute la durée de la première et de la deuxième étape par les infirmières avec un Doptone. Les lectures étaient normales et la reprise était bonne après les décélérations dues aux contractions. La FCF était enregistrée sur un diagramme toutes les trois ou quatre minutes, l’intervalle le plus court étant de deux minutes, et le plus long, de huit minutes.
À 12 h 47, la dernière FCF a été entendue. Après la contraction suivante, à 12 h 50, la FCF n’a plus été entendue. Cela a été attribué à la position du fœtus, tout au fond du bassin. La médecin était prête à intervenir si nécessaire. Au cours des 13 minutes suivantes, elle a saisi à deux reprises les ciseaux à épisiotomie, mais elle les a reposés. À 12 h 51, la tête est apparue. À 12 h 55, la médecin pouvait voir et sentir une activité fœtale. À 13 h, les contractions étaient moins fortes et la tête n’avait pas progressé. La médecin a décidé d’attendre pour voir ce qui se passerait à la contraction suivante. La contraction n’était pas plus forte si bien qu’à 13 h 03, la médecin a pratiqué une épisiotomie. Seize minutes s’étaient écoulées depuis le dernier battement de cœur fœtal audible. Le bébé a été rapidement accouché, pâle et inerte. Il a été ressuscité, mais il souffre d’IMC. Un rapport pathologique a indiqué un certain décollement prématuré du placentaire vers la fin du travail ainsi qu’une immaturité de la villosité placentaire. Un tomodensitogramme de la tête de l’enfant a révélé une malformation congénitale non associée avec une encéphalopathie hypoxique ischémique.
Dans les poursuites engagées au nom du bébé, il a été allégué que les infirmières avaient fait montre de négligence et n’avaient pas surveillé comme il se devait la mère et le fœtus ni enregistré leurs mesures de façon à fournir suffisamment de données au médecin. Il a également été allégué que la médecin n’avait pas accéléré l’accouchement lorsque la FCF avait cessé d’être entendu.
La patiente et son mari ont témoigné qu’il y avait eu deux périodes d’environ 20 minutes chacune, après 11 h, où ils étaient restés sans personne auprès d’eux. Les deux infirmières ont témoigné et se sont appuyées sur les données enregistrées. La Cour a accepté leur témoignage et la façon dont les données avaient été enregistrées, et elle a jugé qu’une infirmière avait constamment été présente, à l’exception d’une période ne dépassant pas 5 minutes aux environs de 11 h, lorsque la médecin s’est entretenue avec une des infirmières dans le couloir. Par ailleurs, la Cour a jugé que la médecin et les infirmières avaient conscience de l’importance de la surveillance de la FCF et de ses caractéristiques. Les FCF relevées et enregistrées pendant la deuxième étape du travail étaient suffisantes pour surveiller correctement l’état du fœtus. Il n’y avait pas d’indication que le fœtus était en difficulté ou que le travail ne progressait pas normalement. Les données communiquées à la médecin par les infirmières étaient suffisantes pour compléter ses propres évaluations. La Cour a conclu que le plaignant n’avait pas réussi à prouver que les infirmières n’avaient pas respecté la norme de diligence pour la surveillance et avaient fait montre de négligence. La cause contre elles a été rejetée.
L’allégation de négligence contre la médecin a également été rejetée. La Cour a examiné sur quelle base la médecin avait fondé sa décision quant au moment où accélérer l’accouchement. Les preuves indiquaient que les facteurs dont la médecin avait tenu compte et le moment choisi pour son intervention respectaient la norme de diligence.
Comme l’illustre cette cause, les plaignants à une instance civile doivent prouver le bien-fondé de leur cause. Les défendeurs ont la possibilité de présenter la preuve qu’ils ont agi de façon raisonnable et prudente. Les défendeurs dans la cause en question ont pu démontrer qu’il était raisonnable, dans les circonstances, de surveiller la FCF exclusivement avec un Doptone. Les données enregistrées permettant de démontrer l’auscultation intermittente de la fréquence cardiaque du bébé par les infirmières étaient un élément absolument essentiel de leur défense. Infirmières en obstétrique, prenez note et faites confiance.
- Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada, Rapport Annuel, avril 2002.
- infoDROIT, Les soins infirmiers en obstétrique (vol 11, no 1, septembre 2002). Pour commander infoDROIT composer le 1 800 267 3390.
- Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, Directives cliniques, Surveillance du bien-être foetal durant le travail, (PDF) no 112, mars 2002.
- Granger (Litigation guardian of) c. Ottawa General Hospital, [1996] O.J. no 2129 (Div. gén. de la Cour de l’Ontario), par. 97.
- Johnson-Coy c. Barker [1995] B.C.J. no 862 (B.C.S.C.).
Remarque : Cet article, paru en septembre 2003, est réimprimé avec la permission de la revue Canadian Nurse / L’infirmière canadienne.
N.B.: Dans ce bulletin, le genre féminin englobe le masculin, et inversement, quand le contexte s’y prête.
LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.