La Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada (SPIIC) reçoit souvent des demandes de renseignements sur des questions de documentation. Dans tous les secteurs des soins aux patients, les infirmières et infirmiers sont confrontés à des problèmes de tenue de dossiers, que ce soit en papier ou sous forme électronique. Ci-dessous, on trouvera une liste des questions les plus souvent posées.
Quelle est la raison d’être de la documentation?
L’objectif principal de documenter dans le dossier du patient est de consigner les données pertinentes du patient afin qu’il ou elle reçoive les meilleurs soins personnalisés possibles.
La documentation est nécessaire aux fins suivantes :
- Communication entre les fournisseurs de soins de santé;
- Assurer la continuité des soins ;
- Conformité aux exigences professionnelles et législatives;
- Faire preuve de responsabilité envers la pratique professionnelle et décrire l’engagement de l’infirmière de fournir des soins sécuritaires, efficaces et conformes à l’éthique ;
- Amélioration de la qualité;
- Recherche;
- Preuve juridique des soins de santé dispensés.
Lorsqu’un patient entame une poursuite judiciaire, les tribunaux se fondent sur la documentation infirmière en tant que preuve des soins qui ont été prodigués. Puisque de nombreuses procédures judiciaires ne sont pas entamées ou plaidées jusqu’à plusieurs années après la prestation des services infirmiers, le dossier du patient devient souvent la seule source fiable de preuve concernant les événements survenus et les soins prodigués.
L’obligation de documenter les soins prodigués aux patients est établie par les dispositions législatives1, les organismes de réglementation2, les normes de l’employeur et la norme de soins déterminée par les tribunaux. Par exemple, la plupart des organismes de réglementation ont adopté des normes et directives en matière de documentation pour que les infirmiers et infirmières puissent connaître les principes et pratiques à respecter. De plus, les politiques en milieu de travail vont généralement indiquer la norme de fréquence et la méthode de documentation pour le personnel infirmier. La non-observation des normes peut donner lieu à de mesures disciplinaires, et peut aussi affaiblir ou détruire la défense de l’infirmier ou l’infirmière lors d’une action en justice.3
Quelles sont les implications juridiques de la tenue des dossiers?
Pour les tribunaux, le dossier médical représente un état chronologique de tous les aspects des soins dispensés au patient depuis son admission jusqu’à sa sortie. Les tribunaux se servent des renseignements notés par les infirmières et infirmiers pour reconstituer les événements, établir les heures et les dates, rafraîchir la mémoire des témoins et régler les conflits entre les témoignages.
En cas de procès, le dossier du patient peut aussi servir de preuve en tant qu’appui lors de la défense de l’infirmière ou l’infirmier. L’avocat se fondera essentiellement sur le dossier pour établir que l’infirmière ou l’infirmier a agi de « façon raisonnable et prudente » dans les circonstances, et pour démontrer qu’il ou elle n’est pas responsable des blessures imputées au patient. De l’autre côté, l’avocat du patient utilisera le dossier médical pour essayer de prouver que l’infirmière ou l’infirmier n’a pas atteint les normes de soins attendues d’une infirmière ou un infirmier raisonnable et prudent(e). Ils devraient garder à l’esprit qu’en cas de litige, les entrées dans le dossier seront examinées ligne par ligne par des avocats, des experts et des juges dans le cadre normal du processus.
Dans une certaine instance, la note d’une infirmière a joué un rôle majeur dans le rejet d’une cause contre un hôpital et son personnel infirmier. Le tribunal a accusé le médecin de la salle d’urgence de négligence pour ne pas avoir procédé à une évaluation des risques d’un malade malgré l’urgence de la note de l’infirmière. Le juge a déclaré que les notes des infirmières doivent servir de base ou de point de départ à l’opinion du médecin de la salle d’urgence et, naturellement, au traitement qu’il applique en conséquence4.
La documentation en soins infirmiers peut également être utilisée en tant que preuve dans d’autres procédures judiciaires, telles que des enquêtes de la part des organismes de réglementation et des affaires disciplinaires, les procédures pénales, les enquêtes du coroner ou du médecin légiste et les arbitrages dans le domaine du travail.
Quelle fréquence de documentation est suffisante?
La fréquence et la quantité de détails dans le dossier sont déterminées par plusieurs facteurs, y compris :
- Les politiques et procédures de l’établissement ou de l’employeur
- La complexité des problèmes de santé
- Les risques encourus par la condition du patient
- Les risques associés au traitement ou aux soins
La documentation devrait être concise, factuelle et objective. Elle devrait être plus complète, approfondie et fréquente lorsque le patient est très malade ou est exposé à un risque élevé. Cela certifie que le dossier du patient saisit effectivement la complexité de l’état du patient et des soins prodigués.
Il est préférable que toutes les évaluations et interventions infirmières soient consignées, y compris :
- Toute communication (et tentative de communication) avec les médecins et les autres membres de l’équipe de soins de santé;
- Des informations relatives à l’administration de médicaments ou à l’exécution des procédures infirmières;
- Tout commentaire pertinent émis par le patient, sa famille ou son mandataire spécial (ou décideur) et d’autres visiteurs.
Est-il nécessaire d’inscrire les actes au dossier immédiatement?
Les dossiers médicaux des patients sont un élément de preuve si important que la Cour suprême du Canada a déclaré que « les dossiers des hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigés au jour le jour par quelqu’un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu’ils relatent »5.Ceci indique que ce qu’une infirmière documente dans le dossier est pris sérieusement, et accepté en tant que fait, sauf preuve du contraire.
Aux fins d’exactitude, les tribunaux ont insisté sur le fait qu’il est important d’inscrire les actes au dossier dès qu’ils ont été accomplis ou aussi rapidement que possible tout en restant prudent6. En cas de retard déraisonnable entre le fait et sa consignation, le tribunal peut refuser d’admettre le dossier comme preuve de la véracité des faits et remettre en question la fiabilité de l’information ou du témoin.
Si une entrée tardive est nécessaire, elle devrait être effectuée dès que possible après les évènements. Les normes de pratique infirmière et les politiques de documentation de l’institution ou de l’autorité sanitaire fournissent des directives sur comment préparer une entrée tardive. En effet, lorsque les infirmières ou infirmiers sont censés compléter les dossiers minute par minute, les entrées effectuées à la fin d’un quart de travail chargé peuvent ne pas avoir le même poids que les entrées fréquentes complétées pendant un quart de travail.7 Une bonne raison pour effectuer une entrée tardive pourrait inclure l’ajout d’informations factuelles qui ne figurent pas encore au dossier et qui pourraient être considérées comme importantes pour comprendre le cours des événements ou la justification d’une intervention médicale.
Comment peut-on corriger une erreur?
Les erreurs surviennent. Avant de prendre des mesures pour « corriger » le dossier médical, consultez la documentation et les politiques de tenue de dossiers de votre organisme de réglementation infirmière et de votre employeur.
Pour corriger une erreur sur papier, les meilleures pratiques conseillent généralement de tracer une ligne sur l’entrée incorrecte, en s’assurant qu’elle est toujours lisible, et d’ajouter la date. L’infirmière ou l’infirmier peut alors ajouter une nouvelle entrée avec la date, l’heure et leur signature. Pour les dossiers électroniques, le respect des politiques et procédures du système de dossiers de santé électroniques garantit que le dossier original demeure intact. Il se distingue facilement des inscriptions ultérieures. Veuillez garder à l’esprit que l’employeur peut avoir des étapes supplémentaires à suivre lors d’erreurs de documentation.
Est-il acceptable pour une tierce personne d’effectuer des inscriptions au dossier?
Il est question d’une documentation par une tierce personne lorsqu’un individu autre que l’infirmière ou l’infirmier qui a prodigué les soins fait une inscription au dossier. En général, ceci n’est pas recommandé. À cause des règles qui régissent la preuve et de la possibilité de contre-interrogatoire au tribunal, c’est l’infirmière, l’infirmier ou tout autre fournisseur de soins qui a une connaissance de première main de l’incident ou de l’acte qui doit l’inscrire au dossier. Il existe une exception lorsqu’une personne a été désignée pour remplir le dossier pendant une intervention d’urgence.
Considérations relatives à la gestion des risques
La tenue des dossiers efficace est importante pour fournir des soins appropriés aux patients ainsi que pour prévenir et défendre des poursuites judiciaires. Les infirmières ou infirmiers doivent être conscients des considérations de gestion des risques suivantes lorsqu’elles documentent les soins prodigués aux patients:
- connaître tous les documents de référence de son organisme de réglementation des soins infirmiers et agir conformément aux normes de pratique applicables;
- passer en revue toutes les politiques, lignes directrices, procédures et/ou processus applicables mis en place par leur établissement de santé pour guider la pratique infirmière concernant la tenue de dossiers;
- tenir les dossiers dès la prise en charge ou dès que possible après la prestation de soins;
- documenter souvent, soigneusement et complètement, en particulier pendant les périodes de transition, telles que les transferts, les changements de quart et la sortie du patient de l’hôpital et pendant les périodes critiques des soins aux patients ;
- éviter de préparer des notes personnelles qui ne figurent pas au dossier.8
Les bénéficiaires de la SPIIC peuvent communiquer avec la SPIIC au 1-800-267-3390 pour parler avec un conseiller ou une conseillère juridique de la SPIIC. Tous les appels sont confidentiels.
- Par exemple, le Operation of Approved Hospitals Regulation, Alta Reg 247/1990, conformément au Hospitals Act, RSA 2000, c H-12.
- Plusieurs organismes de réglementation de la profession infirmière ont élaboré des directives ou des standards sur la documentation à l’intention de leurs membres, p. ex. l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario, La tenue de dossiers, 2008; et le College of Licensed Practical Nurses of Nova Scotia et College of Registered Nurses of Nova Scotia, Documentation Guidelines for Nurses.
- Par exemple, dans Sozonchuk v Polych, [2011] ONSC 842, où le juge du procès a déclaré qu’il ne considérait pas que le témoignage [de l’infirmière] au procès était fiable puisque, dans de nombreux cas, elle avait omis de consigner les événements sur lesquels elle témoignait.
- Les « procédures judiciaires » sont utilisées dans ce contexte pour désigner divers types de procédures, y compris les poursuites civiles, les questions de réglementation professionnelle, les enquêtes du coroner, les arbitrages liés à l’emploi, etc.
- Skinner c. Royal Victoria Hospital, [1993] O.J. no 1054, au para. 187 (Div. gén.) (QL).
- Dans Ares c. Venner [1970] R.C.S. 608, au para 609.
- Ibid.
- Veuillez également consulter notre InfoDROIT sur les Éléments de preuve (décembre 2009).
N.B. Dans ce document, le pronom féminin inclut le masculin et vice versa.
Octobre 2020
LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.