La « télépratique » correspond à la prestation, à la gestion et à la coordination des soins et des services fournis par l’entremise de technologies de l’information et de télécommunication comme les téléphones, les assistants numériques personnels, les télécopieurs, Internet, les téléconférences et vidéoconférences et divers autres appareils1.
La télépratique connaît une croissance rapide, tout comme les technologies qui l’accompagnent. Alors que la télépratique était autrefois une extension des modèles de soins traditionnels, elle est aujourd’hui de plus en plus offerte par des entreprises privées. Ce nouveau modèle, qui gagne rapidement en popularité, engendre des considérations supplémentaires.
Qu’une infirmière ou un infirmier voie un client en personne ou par le biais de la télépratique, et que les soins soient fournis par l’entremise d’une entreprise privée ou d’un programme financé par le gouvernement provincial, l’infirmière ou l’infirmier reste, de manière générale, professionnellement et juridiquement responsable de plusieurs aspects des services fournis dans le cadre de cette interaction, et doit prendre les éléments suivants en considération.
Considérations liées à la compétence – à quel organisme de réglementation les infirmières et les infirmiers doivent-ils rendre des comptes?
Il est très important de comprendre la signification et les conséquences potentielles de l’emplacement physique de l’infirmière ou l’infirmier et de celle de son client. L’organisme de réglementation des soins infirmiers du (province ou territoire) de l’infirmière ou l’infirmier peut estimer que cette personne pratique dans la province ou le territoire dans lequel elle se trouve physiquement, peu importe où se trouve son client. Toutefois, l’organisme de réglementation des soins infirmiers dans la province ou territoire du client peut estimer que les soins de santé sont fournis là dans le territoire de compétence où le client se trouve, et non là où se trouve l’infirmière ou l’infirmier. Par conséquent, les infirmières ou les infirmiers qui font de la télépratique doivent déterminer si un permis d’exercice est nécessaire dans la province ou territoire où sont situés leurs clients, dans celui où l’infirmière ou l’infirmier est situé, ou dans les deux.
Les questions liées au territoire de compétence peuvent aussi avoir des répercussions sur la protection en matière de responsabilité professionnelle. Afin de tirer profit de l’assistancee ou de la couverture fournies par leur plan de protection en matière de responsabilité personnelle, les infirmières et les infirmiers doivent habituellement être en mesure de prouver qu’ils étaient en train d’exercer légalement la profession d’infirmière ou d’infirmier lors des événements faisant l’objet d’un examen dans le cadre de procédures judiciaires. Par conséquent, si un organisme de réglementation détermine qu’une infirmière ou un infirmier a fourni des soins infirmiers sans tous les permis d’exercice requis, l’infirmière ou l’infirmier pourrait avoir de la difficulté à avoir accès à la protection en matière de responsabilité professionnelle en lien avec ces services.
De plus, le champ d’activité des infirmières et des infirmiers peut varier d’un territoire de compétence à l’autre. Il est donc prudent qu’une infirmière ou un infirmier détermine la province ou territoire dans lequel ses activités infirmières sont considérées avoir lieu (cette personne pourrait être considérée comme exerçant la profession d’infirmière ou d’infirmier simultanément dans plus d’une province ou territoire) afin de s’assurer que sa pratique respecte le champ d’activité et les normes relatives à la pratique des soins infirmiers des provinces ou territoires concernés.
Les infirmières et les infirmiers qui offrent des services à des clients qui se trouvent à l’extérieur du Canada doivent tenir compte des répercussions que cela peut avoir sur leur protection en matière de responsabilité professionnelle. Pratiquer la profession infirmière à l’extérieur du Canada accroît le risque de faire l’objet de poursuites à l’extérieur du Canada, ce qui pourrait priver l’infirmière ou l’infirmier de la protection en matière de responsabilité professionnelle qui est généralement applicable aux poursuites intentées au Canada. Même si les poursuites sont engagées au Canada, la limite de la protection en matière de responsabilité professionnelle offerte par la Société de protection des infirmières et des infirmiers du Canada (SPIIC) est généralement moins élevée lorsqu’elle porte sur des services professionnels rendus à l’extérieur du Canada.
Qui est le dépositaire des dossiers?
Chaque province ou territoire a ses propres lois pour définir qui et quoi peut être un dépositaire des dossiers. Pour les infirmières et les infirmiers qui font de la télépratique, il est important de déterminer si c’est l’infirmière ou l’infirmier qui assume la garde des dossiers ou si c’est l’employeur ou l’entreprise de télépratique qui l’assume. Cette considération est pertinente, puisque la garde des dossiers entraîne des obligations juridiques supplémentaires2. À une époque où la télépratique est de plus en plus souvent offerte par des entités commerciales, la question de la garde des dossiers gagne en complexité, étant donné que ce ne sont pas toutes les provinces qui permettent aux entreprises, qui ne sont pas formellent reconnus comme établissements ou fournisseurs de soins de santé, d’être les dépositaires de renseignements personnels relatifs à la santé. Il sera donc important de désigner le dépositaire des dossiers de santé et de confirmer les lois provinciales ou territoriales qui s’appliquent.
Y a-t-il conflit d’intérêts?
Lorsqu’une personne fournit des services de santé privés, elle se doit de faire attention à ne pas se placer en conflit d’intérêts. Un conflit d’intérêts « survient lorsque les intérêts personnels, professionnels, commerciaux, politiques, académiques ou financiers d’une infirmière ou un infirmier, ou les intérêts de la famille ou des amis d’une infirmière ou un infirmier, interfèrent avec les responsabilités de l’infirmière ou l’infirmier ou avec l’intérêt supérieur d’un client. Il peut y avoir conflit d’intérêts, peu importe si l’intérêt concurrent influence ou non l’infirmière ou l’infirmier.»3
Lorsqu’une infirmière ou un infirmier fournit des services de télésanté, cette personne doit se demander si le client est conscient qu’il existe d’autres options (gratuites), et si la télépratique représente la plateforme la mieux adaptée aux besoins du client. Il est important que les infirmières et les infirmiers évitent les situations dans lesquelles le profit personnel est en conflit avec l’intérêt supérieur de leur client. La SPIIC encourage les infirmières et les infirmiers qui ont des préoccupations relatives aux conflits d’intérêts à communiquer avec la SPIIC pour discuter avec un conseiller juridique.
Y a-t-il des préoccupations en lien à la protection des renseignements personnels?
L’’un des avantages que procure l’utilisation de la technologie est la vitesse à laquelle les renseignements peuvent être transmis. Toutefois, dans un contexte de soins de santé, cela peut également représenter un risque considérable. Conserver des renseignements personnels sur la santé dans un appareil mobile accroît le risque qu’on y ait accès ou qu’ils soient partagés de manière inappropriée.. Assurez-vous que tous les appareils utilisés dans le cadre de votre télépratique sont conformes aux lois applicables en matière de protection de la vie privée, et demandez-vous si quelqu’un peut entendre votre conversation et si cela représente un risque pour la protection de la vie privée de votre client.
Quelles contraintes peuvent entraîner des risques supplémentaires dans le cadre de la télépratique?
En télépratique, les contraintes suivantes peuvent entraîner des risques supplémentaires :
- Vous ne pouvez pas observer le client directement. Le fait de devoir se fier aux clients pour décrire leurs problèmes et le fait que l’infirmière ou l’infirmier puisse ne pas être en mesure d’évaluer convenablement la situation visuellement et physiquement peuvent faire en sorte que l’évaluation de l’infirmière ou l’infirmier est incomplète.
- Style de communication. Nous communiquons tous différemment au téléphone plutôt qu’en personne. Notre style de communication et notre aptitude à communiquer sont principalement non verbaux; cependant, cet aspect important n’est pas présent lorsque nous parlons au téléphone. Il est donc prudent d’être conscient de notre style de communication, qu’il s’agisse de notre façon de parler (éviter le jargon médical, les abréviations, les biais involontaires) ou de notre façon d’écouter. Lorsque nous parlons avec des clients qui sont nerveux ou qui ne nous parlent pas dans leur langue maternelle, il est particulièrement important d’adapter notre façon de communiquer à notre interlocuteur.
Gestion des risques associés à la télépratique
Dans la plupart des circonstances, les infirmières et les infirmiers doivent se conformer aux normes relatives aux soins de santé, qu’ils fournissent des soins à leur client en personne ou en télépratique. Les stratégies suivantes peuvent aider à gérer les risques associés à la télépratique :
- n’effectuez que les tâches qui sont dans votre champ d’activité, et sachez reconnaître les situations dans lesquelles la télépratique n’est pas appropriée (p. ex. lorsqu’un examen physique est nécessaire), ou celles dans lesquelles le client a besoin de quelqu’un possédant des connaissances, des compétences et du jugement plus spécialisés
- évitez les conflits d’intérêts;
- conformez-vous à vos normes professionnelles;
- sachez comment utiliser les technologies de télépratique d’une manière sécuritaire et conforme aux lois applicables en matière de protection de la vie privée;
- développez et maintenez des aptitudes de communication efficaces;
- préparez des documents précis et complets.
Étude de cas : Poole c. Mills Memorial Hospital5
La cause Poole c. Mills Memorial Hospital illustre bien l’importance de prendre le temps nécessaire pour répondre adéquatement à un appel téléphonique. Dans ce cas, une infirmière de la salle d’urgence avait parlé au téléphone avec un homme qui lui avait demandé ce qui arriverait si quelqu’un prenait six comprimés de 50 mg d’imipramine. L’infirmière ne connaissait pas du tout l’imipramine; elle savait seulement qu’il s’agissait d’un antidépresseur. Pendant qu’elle cherchait des renseignements sur ce médicament, elle remarqua qu’un médecin était assis au poste des infirmières. Elle décida de lui demander ce qui arriverait si quelqu’un prenait six comprimés de 50 mg d’imipramine. Le médecin lui répondit qu’une dose de 300 mg était à l’intérieur de la marge thérapeutique. L’infirmière transmit ce renseignement à l’homme qui était au téléphone, qui lui demanda ensuite si le médicament pouvait causer des hallucinations ou de la confusion. L’infirmière lui répondit : « Si c’était le cas, cela passerait en dormant », puis elle mit fin à la conversation.
Peu de temps après, le médecin décida de rappeler l’homme pour en savoir plus, mais découvrit que l’infirmière n’avait posé aucune question à son interlocuteur; elle n’avait noté ni son nom ni son numéro de téléphone.
Pendant ce temps, au domicile de l’homme qui avait appelé, celui-ci continuait à surveiller sa conjointe, qui avait récemment été hospitalisée et avait reçu un diagnostic de dépression grave. Bien que la femme ait arrêté de prendre l’imipramine qui lui avait été prescrite, elle avait encore 90 comprimés en sa possession à la maison. Le jour de l’appel, son mari l’avait trouvée en proie à des hallucinations et désorientée. Le contenant d’imipramine dans lequel il avait vu environ 90 comprimés peu de temps auparavant était maintenant vide. Il demanda plusieurs fois à sa conjointe combien de comprimés elle avait pris, mais elle lui dit qu’elle avait pris un nombre différent de comprimés chaque fois; elle affirmait toutefois qu’elle en avait pris moins de dix en tout. L’homme décida d’appeler le centre antipoison local, qui était en fait la salle d’urgence.
Moins d’une heure après son appel concernant l’imipramine, l’homme arriva à l’hôpital avec sa conjointe, qui était inconsciente et cyanosée. Les tentatives de réanimation échouèrent. L’autopsie révéla qu’elle avait ingurgité plus de 80 comprimés d’imipramine. Dans le cadre de l’action au civil qui suivit les événements, l’infirmière fut jugée négligente puisqu’elle avait omis d’obtenir davantage de renseignements en posant des questions pertinentes à son interlocuteur.
Résumé
Les infirmières et les infirmiers doivent connaître les lignes directrices de leur organisme de réglementation des soins infirmiers et les normes professionnelles liées à la prestation de services de télésanté.
Les bénéficiaires de la SPIIC peuvent composer le 1-800-267-3390 pour discuter avec un conseiller juridique de la SPIIC à propos de toute question portant sur les enjeux en matière de responsabilité professionnelle en lien avec la télépratique ou avec d’autres domaines de leur pratique de la profession infirmière.
Ressources supplémentaires :
De nombreux organismes de réglementation des soins infirmiers ont des normes professionnelles spécifiques à la télépratique :
- CRNA – Telepractice and Virtual Care
- CRNS – : Nursing Use of Information and Communication Technologies
- NSCN – Soins infirmiers à distance (Telenursing)
- CRNNL – Soins infirmiers en soins virtuels (Virtual Nursing Practice)
- OIIO – Directives sur les télésoins
- CRNM – Télépratique
- CRPNM – Telepractice
- RNANT/NU – Lignes directrices sur la documentation (page 11), et dans un FAQ
- AIINB – Telenursing Practice
- OIIQ – Qu’est-ce que la télésanté?and Des services cliniques en télésanté
- ANBLPN – Documentation: Professional Practice Series(page 14)
- CRNPEI – Practice Directive: Telehealth Nursing Practice
Mai 2020
LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.
- College of Registered Nurses of Manitoba, Telepractice; Telepractice; mai 2018, en ligne : https://www.crnm.mb.ca/uploads/document/document_file_243.pdf.
- BCCNM, « Conflict of Interest », consulté le 10 février 2020; https://www.bccnm.ca/RN/PracticeStandards/Pages/conflictofinterest.aspx
- « Antibiotic Prescribing During Pediatric Direct-to-Consumer Telemedicine Visits », par Kristin N. Ray, Zhuo-Shi, Courtney A. Gidengil, Sabrina J. Poon, Lori Usher-Pines et Ateev Mehrotra. Pediatrics, mai 2019.
- Poole Estate v. Mills Memorial Hospital, [1994] B.C.J. No 635 (B.C.S.C.).
- Pour obtenir de plus amples renseignements sur le rôle de dépositaire des renseignements médicaux, lisez l’article « Are you a custodian or trustee of health records? » : https://cnps.ca/index.php?page=429