Les plateformes de médias sociaux, telles que Facebook, Twitter, Instagram, TikTok, YouTube ou LinkedIn, nous permettent de communiquer en temps réel avec des « amis » ou le grand public. Les infirmières et infirmiers utilisent parfois ces moyens de réseautage social comme outils éducatifs ou outils de recherche, pour échanger de l’information et pour rester en contact avec leurs réseaux sociaux. Bien comprendre les enjeux juridiques associés à l’utilisation des médias sociaux permettra possiblement d’éviter des complications personnelles et professionnelles.
Confidentialité et autres obligations professionnelles
Tout comme les autres professionnels de la santé, les infirmières et infirmiers sont tenus de respecter les règles de confidentialité applicables aux renseignements relatifs aux patients. Les normes qui régissent l’exercice de la profession infirmière, les limites d’une relation thérapeutique ou son image professionnelle peuvent également être applicables quand les infirmières ou infirmiers utilisent des médias sociaux en lien avec leurs activités professionnelles ou d’une manière ayant une incidence sur la réputation de la profession. L’obligation de confidentialité est depuis longtemps enchâssée dans les normes professionnelles et dans les lois provinciales et territoriales régissant la collecte, l’utilisation et la divulgation des renseignements personnels sur la santé. Ces normes exigent également que les infirmières et infirmiers se comportent toujours de manière professionnelle envers leurs patients, leurs collègues et le public. Le non-respect de ces normes peut avoir de lourdes conséquences juridiques et professionnelles, y compris une plainte disciplinaire de la part de l’organisme de réglementation ou de l’employeur de l’infirmier ou l’infirmière.
Ainsi, une infirmière de l’Ontario a été reconnue coupable d’inconduite professionnelle après avoir affiché des renseignements médicaux personnels d’un client sur un site Web accessible au public, y compris des propos négatifs sur le comportement de ce patient. Par ailleurs, un employé d’un hôpital qui a affiché de l’information concernant le décès d’un patient sur les médias sociaux a été congédié. Même si l’employé n’avait pas indiqué le nom du patient, la publication contenait suffisamment d’informations sur les circonstances du décès du patient, son âge et l’endroit où il était. Cet employé a été congédié pour une violation de la confidentialité du patient, ainsi que de la politique de l’hôpital. Même si cet employé n’était pas membre d’une profession de santé réglementée, cette situation démontre qu’une violation de confidentialité est possible même si le patient ou le client n’est pas nommé, ou s’il est possible d’identifier le patient d’une autre manière.
Une poursuite civile, dans laquelle une partie demande une compensation financière à une autre, peut également être engagée à la suite de l’utilisation des médias sociaux si les informations publiées sont diffamatoires et empiètent sur les droits à la vie privée d’autrui. Quatre territoires de compétence au Canada ont adopté une législation prévoyant une compensation financière après une atteinte à la vie privée d’un individu. De telles dérogations aux normes de conduite professionnelle peuvent également donner lieu à des poursuites en vertu des lois sur la protection de la vie privée. Dans certaines circonstances, une publication peut aussi donner lieu à une sanction pénale. En effet, le Code criminel définit ce qui constitue une image intime, et indique que tout individu qui sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sans avoir obtenu son consentement est coupable d’une infraction criminelle.
Avec la prolifération des médias sociaux et des moyens plus faciles d’accès et de partage d’information, les tribunaux ont désormais plus tendance à fournir un recours en cas de cyberintimidation ou d’atteinte à la vie privée, qui n’existait pas auparavant, même en l’absence d’une telle législation. Par exemple, les tribunaux ont reconnu qu’une réclamation peut être entamée si un individu rendait publiques les informations privées d’un autre individu ou dans le cas d’une publicité qui donne au plaignant une image défavorable aux yeux du public.1 En conséquence, le paiement de dommages-intérêts peut désormais être ordonné dans certains territoires de compétence en cas de cyberintimidation.
L’utilisation des médias sociaux pour la prestation de soins
Compte tenu de l’expertise des infirmières et infirmiers, leurs amis et les membres de leur famille (et parfois leurs clients) demandent parfois à eux de fournir des conseils informels concernant leur état de santé ou des soins de suivi. Les médias sociaux et les applications de messagerie facilitent l’échange de photographies et d’informations, ce qui pourrait être considéré une demande d’avis professionnel. Malgré leur facilité d’accès, il existe de nombreuses raisons d’éviter l’utilisation des médias sociaux comme moyen de fournir des conseils professionnels. Parmi ces raisons, mentionnons celles-ci :
- les infirmières et infirmiers sont responsables du maintien des limites d’une relation thérapeutique;
- la vie privée et la confidentialité ne sont pas suffisamment protégées sur les plateformes de médias sociaux;
- donner des conseils à des amis et aux membres de la famille peut entraîner un conflit d’intérêts;
- les échanges informels peuvent conduire à une collecte inadéquate de renseignements personnels sur la santé;
- des échanges informels peuvent induire le destinataire à se fier aux informations fournies comme un avis professionnel;
- l’infirmière ou l’infirmier peut établir, par inadvertance, une relation thérapeutique avec le destinataire de l’information;
- si une relation thérapeutique est établie, il est possible que l’échange sur les réseaux sociaux ne soit pas correctement inscrit dans le dossier médical du patient; et
- les plateformes de médias sociaux privent généralement l’infirmière ou l’infirmier de la possibilité de procéder à une évaluation complète, y compris la vérification de l’identité du patient ou un examen physique approfondi.
L’infirmière et l’infirmier en tant que défenseur(e) des droits
Un enjeu important est de déterminer s’il est approprié que les infirmières et infirmiers défendent les droits des patients, ou tentent de promouvoir des améliorations au système de santé par l’entremise des médias sociaux. Dans certaines circonstances, les infirmières et infirmiers peuvent estimer qu’ils ont le devoir éthique ou moral de soulever des préoccupations lorsqu’ils croient que le bien-être de leurs patients est en danger.
Il existe plusieurs moyens qui bénéficient d’une protection en vertu de la loi par lesquels les infirmières et infirmiers peuvent communiquer leurs préoccupations sur divers aspects du système de santé. De tels exemples incluent parler ou écrire à leur employeur, soumettre une plainte à un organisme de réglementation ou utiliser des rapports d’incident. En revanche, la publication ou le partage de telles préoccupations sur les médias sociaux pourrait entraîner des complications juridiques, si elles violent la confidentialité du patient. Des complications juridiques pourraient aussi survenir si les employeurs ou l’organisme de réglementation des soins infirmiers considéraient que le comportement est contraire à l’intérêt public ou à celui des infirmières et infirmiers, ou a porté préjudice au statut de la profession infirmière. L’organisme de réglementation peut aussi délimiter l’utilisation appropriée du titre « infirmière/infirmier » si on utilise ce titre dans un forum public. La Cour d’appel de la Saskatchewan a récemment confirmé que les organismes de réglementation professionnels ont généralement le pouvoir de déterminer quand les communications publiques sont contraires à l’intérêt public ou à celui des infirmières et infirmiers, ou si elles nuisent à la réputation de la profession infirmière.2 Cependant, les tribunaux maintiennent un droit de révision de ces décisions. Dans cette décision, la Cour a également énuméré une liste non exhaustive de facteurs contextuels afin de déterminer si un discours relatif aux soins de santé constitue une faute professionnelle :
- si le discours a été prononcé pendant que l’infirmière ou l’infirmier était de service ou agissait autrement en tant qu’infirmière ou infirmier;
- si l’infirmière ou l’infirmier s’est identifié comme infirmière ou infirmier autorisé;
- l’étendue du lien professionnel entre l’infirmière ou l’infirmier et le membre du personnel infirmier ou l’établissement critiqué par lui ou elle;
- si le discours portait sur les services fournis à l’infirmière ou à l’infirmier, aux membres de sa famille ou à ses amis;
- si le discours était le résultat d’un stress émotionnel ou de problèmes de santé mentale;
- la vérité et l’équité de toute critique formulée par l’infirmière ou l’infirmier;
- l’étendue de la publication, ainsi que l’envergure et la nature du public;
- si l’expression publique de l’infirmière ou l’infirmier visait à contribuer au discours social ou politique sur une question importante; et
- la nature et l’étendue du préjudice causé à la profession et à l’intérêt public.3
Par conséquent, avant d’envisager de publier quelque chose dans un forum public, il serait également prudent que l’infirmière ou l’infirmier examine s’il existe d’autres voies appropriées (telles que celles énumérées ci-dessus) pour soulever leurs préoccupations qui ont été établies par leur employeur et/ou leur établissement. Certains organismes de réglementation peuvent même énoncer des directives précises quant aux canaux appropriés pour ce type de préoccupations. Ces procédures sont mises en place pour plusieurs raisons, notamment pour assurer la crédibilité de l’information, protéger la confidentialité des patients et/ou résoudre le problème soulevé. Pour déterminer s’il est nécessaire de s’exprimer publiquement, et par quels moyens, les infirmières et infirmiers peuvent également se demander s’ils ont l’obligation de signaler le problème et s’ils pourraient être réprimandés pour ne pas avoir signalé le problème plus tôt. Par conséquent, il peut être difficile pour une infirmière ou un infirmier de se défendre envers son organisme de réglementation pour expliquer pourquoi il ou elle n’a pas utilisé le canal de communication approprié avant de s’exprimer en public.
En oubliant toute considération professionnelle, disciplinaire ou liée à l’emploi, il est important de tenir compte du fait que même lorsque les infirmières ou infirmiers se sentent obligés de s’exprimer publiquement pour le plus grand bien du public, ils peuvent quand même être soumis à des poursuites judiciaires privées. Par conséquent, comme toute autre déclaration publique, les infirmières et infirmiers devraient possiblement considérer si le partage de préoccupations sur les médias sociaux pouvait être perçu comme diffamation, ou une atteinte à la vie privée pour laquelle la cour pourrait accorder des dommages-intérêts.
Risques et considérations associés aux médias sociaux
Étendue de la distribution
Puisque l’information partagée par Internet est circulée, archivée et téléchargée facilement et rapidement, la personne qui affiche l’information peut éprouver des difficultés de limiter la distribution.
Information permanente
Une publication sur les médias sociaux est d’habitude permanente. Les informations effacées ou archivées peuvent encore se trouver dans des moteurs de recherche ou les fichiers électroniques d’« amis » ou de tiers. La Cour suprême de la ColombieBritannique a déclaré que toute personne qui publie des remarques sur une page Facebook doit tenir compte du fait qu’un certain degré de diffusion, et parfois une diffusion répandue, peut s’ensuivre.4
Il s’agit d’une considération particulièrement importante pour les infirmières et infirmiers qui utilisent des applications telles que Snapchat, dont le contenu est supprimé après avoir été disponible que pendant une période déterminée. Il est essentiel de se rappeler que ce contenu peut toujours être enregistré ou téléchargé par d’autres utilisateurs qui peuvent choisir de partager ou de distribuer la publication, même si elle n’est plus disponible par l’intermédiaire du compte d’origine. Cela peut poser des risques puisque le titulaire du compte d’origine n’a plus le contrôle sur le contenu qui a été partagé. Par exemple, deux membres du personnel d’un hôpital naval avaient pris des photos et des vidéos de leurs patients nouveau-nés avec des gestes et des commentaires inappropriés. Les messages ont été partagés sur Snapchat, mais les abonnés ont effectué des captures d’écran et ont partagé les messages sur d’autres sites de médias sociaux, où ils ont été visionnés plus de 185 000 fois. Les membres du personnel ont par la suite été retirés du milieu de soins aux patients après que l’hôpital avait pris connaissance de leur comportement.
Mauvaise compréhension de la portée des mécanismes de sécurité
Même si les sites de médias sociaux comportent des mécanismes de sécurité en matière de vie privée, la convention implicite d’un grand nombre de sites est de permettre à quiconque, y compris les membres du public, de pouvoir accéder à l’information affichée. L’information affichée sur les médias sociaux, même si les paramètres du compte sont « privés » et que le compte est non accessible au grand public, pourrait aussi devoir être divulguée en cour si cette information est pertinente aux questions en litige.
Dépasser les limites thérapeutiques
Les infirmières et infirmiers qui sont en contact avec leurs patients par l’entremise des médias sociaux pourraient risquer de dépasser les limites thérapeutiques en brouillant la ligne de démarcation entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Ceci pourrait avoir un impact sur la relation thérapeutique.
Pseudonymes
L’auteur d’un affichage anonyme ou effectué sous un pseudonyme peut tout de même faire l’objet de sanctions en cas de non-respect de confidentialité ou de diffamation. Dès qu’une poursuite civile est entamée, la divulgation de toute information pertinente est requise, y compris des adresses IP individuelles et de l’information sur les abonnés qui pourrait identifier des individus qui sont anonymes en ligne. De plus, les auteurs d’affichages anonymes pourraient faire face à des dépens importants pour repayer les frais additionnels associés au processus de dévoilement de leur identité.
Atteinte à la réputation
Une publication que les infirmières et infirmiers peuvent croire avoir été archivée ou supprimée peut réapparaître de façon imprévue et nuire à leur réputation. En effet, de nombreux employeurs inspectent les profils de réseautage social de leurs employés actuels et éventuels en quête d’inconduite ou de tout autre comportement inapproprié, ou un comportement pouvant nuire à leur intégrité professionnelle.
Gestion des risques
Considérez les pratiques exemplaires suivantes :
- Éviter d’afficher ou de partager des renseignements confidentiels. Un patient ou un tiers qui n’est pas expressément nommé pourrait quand même être identifié à l’aide des renseignements affichés;
- Éviter d’afficher des commentaires négatifs portant sur des collègues, des superviseurs ou d’autres professionnels de la santé. La publication d’informations obtenues au travail pourrait être interprétée comme un manque de professionnalisme.5 Si ces informations s’avéraient être fausses, elles pourraient aussi donner lieu à une action en diffamation;
- Respecter et imposer les limites professionnelles. Se lier d’amitié avec un patient par le biais d’un site de réseautage social de n’importe quelle manière peut élargir le champ de responsabilité professionnelle ou dépasser les limites de la relation thérapeutique;
- Tenir compte du fait qu’il est difficile de vérifier si les personnes qui utilisent un compte sur les médias sociaux pour communiquer ou obtenir de l’information sont vraiment celles qu’elles prétendent être;
- Éviter de donner des conseils infirmiers en réponse à des commentaires ou à des questions affichées sur des sites Web. De tels conseils pourraient engager votre responsabilité civile professionnelle;
- Utiliser les paramètres de confidentialité du site de réseautage pour limiter l’accès à votre profil personnel. Permettre seulement à des personnes connues et dignes de confiance d’y accéder;
- Créer des mots de passe, les changer souvent et ne pas les partager avec qui que ce soit;
- Assurez-vous que les photos, les vidéos ou d’autres affichages vous représentent de façon professionnelle;
- Souvenez-vous que lorsque vous vous identifiez en tant qu’infirmière ou infirmier sur les plateformes de médias sociaux, vous pouvez être perçu(e) comme étant en train d’agir à titre professionnel; et
- Familiarisez-vous avec toutes les politiques et normes pertinentes de votre employeur et/ou de votre organisme de réglementation professionnelle; celles-ci peuvent inclure des sujets tels que la confidentialité, les limites thérapeutiques, les normes professionnelles et l’utilisation des médias sociaux ou de la technologie.
Avant de communiquer sur un site de réseautage social, il faut toujours réfléchir aux propos qui y sont faits, à l’identité de ceux qui pourraient y avoir accès et à leur impact si un employeur, un patient, un membre du public ou un organisme de réglementation les lisait. Les bénéficiaires de la SPIIC peuvent communiquer avec la SPIIC au 18002673390 pour parler avec un conseiller juridique de la SPIIC.
Veuillez noter que le présent document est une publication abrégée. Si vous avez besoin d’une version PDF de cet article avec la marque de la SPIIC contenant toutes les références, veuillez présenter une demande en utilisant le lien suivant et un membre de notre équipe vous l’enverra par courriel sous peu : https://spiic.ca/demande-pour-documents-imprimes/.
LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.
- Yenovkian v. Gulian, 2019 ONSC 7279 (CanLII)
- Strom v Saskatchewan Registered Nurses’ Association, [2018] SKQB 110
- Strom v Saskatchewan Registered Nurses’ Association, [2020] SKCA 112.
- Pritchard v Van Nes, [2016] BCSC 686, para 83.
- Pour que la communication soit considérée comme diffamatoire, la déclaration doit d’habitude rabaisser la réputation de la personne en question aux yeux d’une personne raisonnable, nommer la personne ou l’organisation qui prétend avoir été diffamée, et être publiée, c’est-à-dire communiquée à au moins un personne autre que la personne ou l’organisation qui prétend avoir été diffamée. Pour plus d’informations, veuillez consulter l’article de la SPIIC sur ce sujet: https://spiic.ca/article/la-diffamation/.
Révisé en juin 2021