LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.
Lorsqu’on vous demande d’être témoin expert, on vous demande votre opinion sur un élément particulier d’une cause.
Toute décision juridique se fonde sur des faits. Ce n’est qu’une fois que le tribunal a statué sur les faits d’une affaire1 qu’il peut prendre une décision en fonction du droit ou de la loi applicable. Cela semble simple à priori; pourtant, les choses se compliquent quand on examine la façon dont la preuve est présentée au tribunal dans une affaire mettant en cause des professionnels de la santé. Il existe trois grands modes de production de la preuve : la déposition orale des parties, la production de documents et le témoignage d’opinion d’un témoin expert.
Contrairement au témoin direct, le témoin expert ne peut pas faire un témoignage sur les circonstances de l’incident du fait qu’il n’était pas présent. Cependant, il peut donner son opinion sur un élément particulier d’une cause. À cet égard, il est un témoin inhabituel, car, à tous les autres égards, c’est l’opinion du tribunal qui compte.
Le témoin expert doit avoir des connaissances et une expérience spécialisées dont le tribunal ne dispose pas. Il pourra donc aider le tribunal à mieux comprendre les éléments de preuve dont il est saisi. En raison de leur formation, de leurs compétences et de leurs expériences professionnelles, les infirmières et les médecins sont des témoins experts idéaux pour ce qui est d’appliquer les diverses composantes de leur champ d’activités professionnelles aux faits sur lesquels le tribunal doit se prononcer.2
Un curriculum vitae détaillé sert ordinairement à établir les qualités, titres et expérience des professionnels de la santé. Ceux-ci ne doivent pas donner leur avis sur des questions qui sont au-delà de leur compétence. Par exemple, une infirmière peut posséder toutes les qualités requises pour agir comme témoin expert dans une cause portant sur les soins infirmiers d’urgence dispensés dans un hôpital de soins actifs et d’enseignement en milieu urbain, mais non pour se prononcer sur des soins infirmiers d’urgence en région éloignée.
Étant donné qu’une infirmière convoquée à titre de témoin expert est absente lorsqu’un incident se produit, elle doit avoir accès à certains éléments pour fonder son opinion. L’avocat ou le cabinet juridique qui retient ses services lui fournit alors tous les documents nécessaires – demande introductive d’instance, défense, transcription de l’interrogatoire préalable, copie de certaines parties du dossier du patient – et lui demande de se faire une opinion sur la question en litige. Pour ce faire, l’infirmière doit se fonder sur le corpus de pratiques exemplaires au moment de l’incident, les normes d’exercice, les politiques en vigueur et tout autre élément pertinent. L’avocat détermine la façon dont l’infirmière doit lui présenter son opinion (oralement, par écrit ou les deux).
Si les éléments sur lesquels l’infirmière témoin expert se fonde sont sujets à caution, inexacts ou sans pertinence, son opinion peut être jugée inutile. Par exemple, une affaire de faute professionnelle médicale a été ajournée quand un témoin direct, une infirmière, a témoigné que les heures qu’elle avait consignées dans les dossiers de l’unité des soins intensifs étaient inexactes. L’opinion du témoin expert relativement à l’heure de la lésion cérébrale était dès lors inutile. Le tribunal a fait remarquer qu’il serait inconcevable de lui demander d’écouter les témoignages de cinq ou six experts médicaux convoqués par les plaignants, et un nombre semblable d’experts convoqués par les défendeurs, qui seraient tous fondés sur des heures qui, selon le témoignage même de l’infirmière, pouvaient être inexactes. Le tribunal a ajouté que l’administration de la justice exigeait mieux.3
Même si la plupart des poursuites civiles sont réglées à l’amiable avant l’ouverture même du procès, l’infirmière témoin expert peut être appelée à témoigner en cas de procès. La preuve de la soi-disant compétence spécialisée de l’infirmière convoquée comme témoin expert est présentée sous forme de voir-dire, c’est-à-dire lors d’un procès dans un procès, même si l’infirmière a déjà communiqué son opinion d’expert à un avocat. Il peut aussi arriver que le tribunal accepte une entente conclue entre les avocats selon lesquels l’infirmière est une experte dans son champ de compétence.
Pendant le voir-dire, le tribunal doit être convaincu de la véracité des quatre facteurs suivants avant d’entendre l’opinion du témoin expert :
- nécessité d’aider le tribunal : le témoignage d’opinion n’est nécessaire que s’il offre des renseignements auxquels le juge ou le jury n’ont pas accès en raison de leur manque d’expérience et de connaissances dans le domaine;
- pertinence par rapport à l’objet du litige;
- titres et qualités de la personne;
- absence de règle d’exclusion de la preuve.4
Dans ses motifs du jugement, un tribunal fait généralement allusion au témoignage du témoin expert. Prenons un exemple : « Le plaignant a convoqué une experte dans le domaine des soins infirmiers, [l’infirmière] Joan Tranmer, qui a exercé pendant de nombreuses années dans le domaine des soins infirmiers de clinique, de l’enseignement et de la recherche. Selon elle, le tracé de monitorage foetal dans la salle d’examen montrait un foetus normal et réactif. » 5 (traduction)
À l’instar de tous les autres témoignages, les opinions d’expert peuvent différer. Le tribunal doit évaluer l’ensemble de la preuve et arriver à une conclusion, comme dans l’affaire suivante :
« L’infirmière Yeomans doit faire preuve d’un niveau raisonnable de prudence et de compétences dans l’exercice de sa profession. La majorité des experts oeuvrant dans le domaine des soins infirmiers ont convenu qu’elle avait pris les mesures qui s’imposaient. L’infirmière Robinson, convoquée à titre de témoin expert par le plaignant, n’était pas d’accord… Je préfère et j’accepte l’opinion des infirmières Michaud et Richardson. » 6 (traduction)
Les sciences infirmières et la médecine sont des disciplines différentes. Les témoins experts d’une des deux disciplines peuvent ne pas avoir les qualités nécessaires pour se prononcer sur les normes et pratiques de l’autre discipline comme dans l’affaire ci-dessus. Dans ce cas, le tribunal a précisé que même si le Dr Fortin, témoin expert, avait fait des commentaires sur les soins infirmiers, il les excluait du fait que le médecin n’avait pas compétence [à titre de témoin expert] pour se prononcer sur la qualité des soins infirmiers.7
Cependant, les médecins et les infirmières collaborent souvent étroitement ensemble. Les témoins experts appartenant à ces deux catégories professionnelles peuvent émettre une opinion sur la nature du rôle et des responsabilités des membres de chaque catégorie. Dans l’affaire d’obstétrique ci-dessus, le tribunal devait arriver à une conclusion sur le rôle de l’infirmière de soins généraux et de l’anesthésiste résident. Le juge a remarqué des similitudes dans le témoignage d’une infirmière et de trois médecins cités comme témoins experts :
« Je suis convaincu que le rôle de l’infirmière de soins généraux du service d’obstétrique est de surveiller l’avancement du travail, y compris le rythme cardiaque du foetus, tout en appuyant et en aidant la parturiente. Il incombe à l’infirmière de ce service de recueillir des données, notamment en ce qui concerne l’état de santé du foetus, et d’avertir les autres membres de l’équipe en cas de changements importants et de problème. Cette approche est confirmée dans les témoignages de [l’infirmière] Joan Tranmer et des médecins McGrath, Hannah et Yarnell. »8 (traduction)
Même si cela peut sembler idéaliste, notre système juridique vise l’équité dans les rapports des gens les uns avec les autres. Les infirmières convoquées comme témoins experts peuvent contribuer à cet objectif en faisant un témoignage de qualité de sorte que les jugements rendus soient aussi justes que possible.
Les bénéficiaires de la SPIIC peuvent communiquer avec la SPIIC au 1-800-267-3390 pour parler avec un conseiller juridique de la SPIIC. Tous les appels sont confidentiels.
- L’infirmière témoin expert peut aussi témoigner dans d’autres instances que des poursuites civiles, comme des audiences en matière de discipline professionnelle.
- Les causes de faute professionnelle médicale sont remplies de témoignages d’experts. Afin de maîtriser les coûts et de ne pas nuire au caractère judiciaire des instances, les lois provinciales sur la preuve plafonnent souvent le nombre de témoins experts que chaque partie peut convoquer. Par exemple, l’article 25 de la Loi sur la preuve au Manitoba, qui constitue le chapitre E150, précise ce qui suit : « Lorsqu’une partie se propose d’interroger comme témoins des personnes autorisées par la loi ou par la pratique à faire un témoignage d’opinion, il ne peut, sans la permission du tribunal, être appelé plus de trois de ces témoins de chaque côté. »
- Dybongco-Rimando Estate c. Lee, [1999] O.J. No. 1426 (Ont. Gen. Div.), par. 16.
- R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9.
- Granger (Litigation guardian of) c. Ottawa General Hospital, [1996] O.J. No. 2129 (Ont. Gen. Div.), par. 41.
- Sunnucks (Litigation guardian of) c. Tobique Valley Hospital, [1999] N.B.J. No. 344 (Q.B.), par. 165.
- Ibid, par. 46.
- Supra note 5, par. 100.
Remarque : Cet article, paru en juin 2004, est réimprimé avec la permission de la revue The Canadian Nurse / L’infirmière canadienne.
N.B.: Dans ce bulletin, le genre féminin englobe le masculin, et inversement, quand le contexte s’y prête.
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