Définitions clés pour cet InfoDROIT :
- Plaignant ou demandeur: la personne physique ou morale (organisation) qui a engagé une poursuite civile contre quelqu’un d’autre.
- Défendeur: la personne physique ou morale poursuivie dans une action civile.
Il y a plusieurs circonstances dans lesquelles les infirmières et infirmiers sont censés agir comme représentants. Par exemple, en ce qui concerne les milieux de pratique de qualité, la prestation de soins de santé sécuritaires et éthiques, ou encore la lutte contre les inégalités sociales. Cependant, même lorsqu’il existe une obligation éthique « d’être porte-parole », il serait prudent pour les infirmières et infirmiers de considérer comment et avec qui elles communiquent leurs préoccupations. En effet, différentes conséquences juridiques peuvent découler de commentaires inappropriés ou de commentaires faits dans des circonstances inappropriées. Par exemple, un commentaire qui comprend la divulgation non autorisée de renseignements personnels sur la santé pourrait entraîner une atteinte à la vie privée, et des commentaires sur d’autres individus ou organisations pourraient donner lieu à une action civile (poursuite) en diffamation.
Qu’est-ce que la diffamation?
Les tribunaux ont défini la déclaration diffamatoire de la façon suivante : « Une déclaration est diffamatoire lorsqu’elle a pour effet de porter atteinte à la réputation de la personne qu’elle vise, c’est-à-dire lorsqu’elle a tendance à rabaisser cette personne dans l’estime des bons citoyens et de la faire considérer avec haine, méprise, ridicule ou crainte ».[1] Il existe deux types de diffamation : le libelle et la diffamation verbale. Dans le cas d’un libelle, les propos diffamatoires sont communiqués sous une forme visible et permanente, comme des livres, des articles, des sites web, des courriels ou des publications sur les réseaux sociaux. Dans le cas de la diffamation verbale, le message est communiqué oralement. Dans certaines juridictions, la distinction entre libelle et diffamation verbale a été éliminée par les lois sur la diffamation qui définissent la « diffamation » en tant que « libelle ou diffamation verbale ».
Le plaignant qui a engagé une poursuite en diffamation doit établir les trois éléments de preuve suivants :
- Sens diffamatoire de la communication elle-même
Les mots doivent être diffamatoires, dans le sens où ils auraient tendance à nuire à la réputation du plaignant aux yeux d’une personne raisonnable. - Référence au plaignant
Les mots se réfèrent bel et bien à la personne ou à l’organisation qui prétend avoir été diffamée (le demandeur n’a pas besoin d’être nommé pour être identifiable). - Diffusion du message (publication de la communication)
Dans les lois sur la diffamation, on entend par diffusion la communication des propos diffamatoires à un ou à des tiers, et non pas seulement à la personne qui prétend être victime de diffamation[2].
Par conséquent, la diffamation se définit comme la diffusion d’un message écrit ou oral qui a pour effet de nuire injustement à la réputation de la personne qui en fait l’objet. Les infirmières et infirmiers devraient toujours être conscients de cette possibilité lorsqu’ils ou elles communiquent avec leurs patients ou à propos de leurs patients, leurs collègues, leurs employeurs ou autres individus et organisations. Ils ou elles devraient veiller à ce que leurs commentaires verbaux ou écrits soient exacts et transmis seulement aux personnes à qui ils sont destinés pour réduire les chances d’être trouvé(e) responsable.
Étant donné que la diffamation porte essentiellement préjudice à la réputation d’une personne, les lois en la matière exigent habituellement qu’une poursuite soit intentée rapidement[3].
Quels sont les moyens de défense contre la diffamation?
Lorsque le demandeur prouve que le défendeur a publié des déclarations diffamatoires à son égard auprès d’au moins une autre personne, le défendeur doit établir une défense afin d’échapper à toute responsabilité. Les principaux moyens de défense dont disposent les infirmières ou infirmiers faisant face à des allégations de diffamation sont la vérité (justification), le commentaire loyal et l’immunité relative.
La vérité
La défense de la vérité protège les déclarations de fait qui sont substantiellement vraies. La vérité est une défense absolue contre la diffamation, ce qui signifie qu’elle protège même les déclarations diffamatoires qui ont été publiées avec malveillance (méchanceté, mauvaise volonté ou arrière-pensée) envers le demandeur.
Commentaire loyal
La défense de commentaire loyal protège les commentaires d’opinion, par opposition aux déclarations de fait, sur une question d’intérêt public, s’ils sont affirmés avec une croyance honnête. Les commentaires d’opinion doivent être basés sur des faits réels. La défense de commentaire loyal sera perdue s’il est démontré que le défendeur a agi avec malveillance envers le demandeur.
Immunité relative
La défense d’immunité relative protège les déclarations diffamatoires faites lors d’une circonstance privilégiée, comme « … dans des circonstances où la personne qui donne des renseignements a un intérêt ou une obligation légale, sociale ou morale, de les donner à la personne à qui elle les fournit et la personne qui les reçoit a un intérêt ou une obligation correspondante de les recevoir. La réciprocité est essentielle ».[4] Les tribunaux déterminent objectivement si un intérêt ou un devoir commun existe dans des circonstances particulières. Pour prendre cette décision, les tribunaux tiendront généralement compte du rôle ou de la position de la personne qui fait la communication et de celle du destinataire, ainsi que de la nature du forum dans lequel la communication a été faite.
Voici des exemples (sans s’y limiter) de circonstances que les tribunaux ont déterminé d’être privilégiées dans le contexte des soins de santé : les situations dans lesquelles un professionnel de la santé fait un rapport aux autorités appropriées conformément à l’obligation de signaler (p. ex. obligation de signaler tout abus présumé en vertu de législation sur la protection de l’enfance), la communication avec d’autres prestataires de soins de santé au sujet de la santé ou du traitement d’un patient, ou encore la communication avec le personnel de sécurité au sujet des problèmes de sécurité.
La défense d’immunité relative peut être perdue par une publication excessive à ceux qui n’avaient pas le devoir ou l’intérêt de recevoir la communication, si les propos diffamatoires sont excessifs, ou s’il est démontré que le défendeur a agi avec malveillance.
Quelqu’un s’est plaint de mon travail à mon superviseur. Peut-on parler de diffamation?
Votre superviseur a de nombreuses responsabilités, notamment celles de surveiller la qualité des soins infirmiers et de régler les problèmes qui touchent le personnel. Signaler des préoccupations de cette nature à un superviseur peut être considéré comme une circonstance d’immunité relative en raison de la nature du rôle de gestion. Cependant, on sait qu’un comportement excessif affaiblit la défense d’immunité relative. La défense pourrait donc être perdue si la plainte est également adressée à des personnes qui n’ont pas le pouvoir de la traiter ou si le plaignant fait des déclarations diffamatoires excessives au-delà de ce qui serait nécessaire pour communiquer le contexte de la plainte.
Quelqu’un s’est plaint de mon travail à mon organisme de réglementation professionnelle. Les conclusions de l’nquête me donnent raison. Puis-je poursuivre cette personne en diffamation?
Les organismes de réglementatioen professionnelle sont habilités par la loi à faire enquête et à statuer sur l’adhésion de leurs membres aux normes professionnelles, afin de protéger le public. Par conséquent, le fait de signaler en toute bonne foi les actions d’une infirmière que l’on croit devraient faire l’objet d’une enquête ne constitue pas une diffamation, mais une participation à un processus de réglementation légitime. Ce serait donc probablement protégé par la défense d’immunité relative.
Une poursuite en diffamation intentée après que l’enquête menée par un organisme de réglementation a donné raison à une infirmière ne peut lui donner gain de cause que si l’infirmière est en mesure de prouver que l’auteur du compte rendu savait que ses allégations étaient fausses. La Cour d’appel du Québec en est justement venue à cette conclusion dans une cause où une infirmière autorisée avait poursuivi le mari d’une patiente insatisfaite, lequel s’était plaint de son travail auprès de la Montreal Graduate Nurse Association. La Cour d’appel du Québec a jugé que le mari de cette patiente avait agi de bonne foi, parce qu’il estimait avoir plusieurs raisons légitimes de croire que l’infirmière ne faisait pas correctement son travail. En faisant part de ses doutes à l’association, il ne s’est donc pas rendu coupable de diffamation[5].
Gestion des risques
Pour diminuer vos risques professionnels et personnels, envisagez d’adopter les garanties suivantes:
Avant de communiquer des préoccupations concernant un individu ou une entité à des tiers:
- gardez la tête froide;
- déterminez si la critique que vous proposez pourrait nuire à la réputation du sujet;
- déterminez si vous avez des connaissances personnelles et des preuves à l’appui de ces faits;
- déterminez si vous violeriez la confidentialité des patients lors de vos communications;
- déterminez si vous avez le devoir de signaler une situation particulière et, dans l’affirmative, à qui le rapport doit être fait.
Si vous décidez de faire part de vos préoccupations:
- faites un rapport par les voies appropriées (c’est-à-dire aux autorités appropriées ou aux personnes qui ont le devoir ou l’intérêt de recevoir votre rapport et ont la capacité de répondre à vos préoccupations); ne communiquez pas à un public plus large que nécessaire;
- évitez d’utiliser les médias sociaux pour vous exprimer, discuter d’événements liés au travail ou pour mettre des commentaires sur des publications semblables par d’autres;
- évitez de publier des commentaires négatifs sur vos collègues, superviseurs et autres professionnels de la santé; la divulgation d’informations obtenues au travail pourrait être considérée comme non professionnelle et, si elle est erronée, entraîner une plainte en diffamation;
- évitez d’exagérer les faits;
- évitez d’utiliser un langage incendiaire ou provocateur;
- distinguez clairement les opinions des faits;
- soutenez votre raisonnement avec les normes, directives et autres publications pertinentes.
Les bénéficiaires de la SPIIC peuvent communiquer avec la SPIIC au 1-800-267-3390 pour parler avec un conseiller juridique de la SPIIC. Tous les appels sont confidentiels.
[1] Willows c. Williams (1951), 2 W.W.R. (N.S.) 657 (Alta. S.C.). Dans cette affaire, une infirmière a obtenu gain de cause après avoir poursuivi le président du conseil d’administration de l’hôpital pour diffamation verbale. À l’occasion d’une réunion du conseil où l’on examinait la candidature de la plaignante au poste d’infirmière intendante, le président a déclaré : « Nous avons commis une erreur il y a un an et nous ne voulons pas refaire la même erreur. Elle est du même calibre que l’autre. Je me reporte au problème de drogue. » [trad. libre]
[2] Grant c Torstar Corp, 2009 SCC 61 (CanLII), [2009] 3 SCR 640 (SCC) au para 28.
[3] Envisagez de consulter rapidement un avocat dans votre juridiction si vous souhaitez engager une action en diffamation. Les délais de prescription et les délais de préavis pour ce type de poursuite ont tendance à être courts.
[4] Hill c. Église de scientologie de Toronto, 1995 CanLII 59 (CSC), [1995] 2 RCS 1130 au para 143.
[5] Moore c Lenkorn, 1996 CanLII 6167 (QC CA), [1996] AQ No 77 (QC CA).
Mars 2020.
LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.