LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.
Les stratégies de confinement des coûts ont entraîné la disparition d’un grand nombre de postes d’infirmière dans les établissements de soins de santé d’un bout à l’autre du Canada. Les infirmières se demandent s’il y aura suffisamment de professionnels de la santé qui ont reçu une préparation suffisante pour dispenser des soins sûrs et compétents conformes aux normes de la profession infirmière. On craint que le remplacement d’infirmières par des travailleurs de la santé non réglementés ne présente pour le public un risque qui augmentera le nombre de poursuites en justice intentées contre les infirmières.
Ces préoccupations sont légitimes. Comme le signale un auteur, on prévoit que les hôpitaux, les médecins et divers paliers de gouvernement seront tous exposés à une responsabilité civile lorsque des mesures de compression des dépenses entraînent une réduction de la qualité ou du volume des soins dispensés aux patients, et ce sont les prestateurs de soins de santé les plus proches du patient qui porteront au début le gros de toute responsabilité légale découlant d’un manque de ressources.1
Cette possibilité soulève deux questions : dans quelle mesure les infirmières devront-elles rendre compte devant la loi de résultats qui découlent de compressions budgétaires sur lesquelles elles ont un contrôle minime ou nul, et que peuvent faire les infirmières, si elles peuvent faire quoi que ce soit, pour réduire la probabilité de devenir l’objet de poursuites découlant de réductions des ressources?
Même si les infirmières ont une responsabilité professionnelle, légale et éthique à l’égard de la sécurité des patients, la loi impose à leurs employeurs la responsabilité finale en la matière. Les établissements peuvent aussi être tenus directement responsables à cause de leur propre négligence en tant qu’entités administratives. Les établissements de soins de santé doivent notamment traiter les patients qu’ils hébergent en tenant compte de la sécurité – qui comprend la sélection, la formation, la supervision et la surveillance du personnel. Lorsqu’il est possible de relier un traumatisme subi par un patient au rationnement des ressources de l’établissement, les hôpitaux peuvent être tenus responsables.2
Dans l’affaire Jinks c. Cardwell, un patient en psychiatrie s’est noyé dans le bain à la suite d’une hypotension causée par son médicament. Le juge a alors trouvé l’hôpital coupable de négligence directe parce qu’il lui incombait, en vertu de son obligation de soin, de protéger un patient de plusieurs façons, y compris au moyen d’un personnel suffisant. « Il y avait deux infirmières seulement, une IA et une IAA, en poste pour s’occuper de 33 patients atteints de maladie mentale. Pendant la période du changement de quart, soit de 7 h à 7 h 30, une de ces infirmières devait se trouver dans un bureau intérieur, et elle s’y trouvait en réalité, pour préparer les rapports et n’a pu participer aux soins ou à la supervision des patients. »3
Les stratégies de compression des dépenses sont maintenant une réalité de la vie. C’est le confinement du risque qui pose le défi : comment établir un équilibre entre la réduction des dépenses et l’évitement des situations dangereuses qui pourraient causer un préjudice aux patients et entraîner éventuellement des litiges? Est-il réaliste de s’attendre à ce que les infirmières fassent quoi que ce soit pour réduire le risque de préjudice? Oui. La mise en œuvre de stratégies de gestion des risques dépend presque entièrement des infirmières. Ces stratégies consistent notamment à évaluer le patient, à diffuser l’évaluation, à définir le risque, à prévenir la direction des risques liés aux ressources, à prévenir les médecins des risques reliés au traitement, à planifier et coordonner les soins, et notamment à déléguer des tâches, à déterminer l’orientation et la formation dont les nouveaux employés et les travailleurs auxiliaires ont besoin, et à assurer une supervision appropriée conformément aux normes de la profession et aux politiques de l’établissement.
L’efficacité de toutes ces stratégies de gestion des risques passe obligatoirement par une excellente communication avec les patients, la direction, les médecins, les collègues et les collaborateurs. Après avoir défini un risque, l’infirmière doit se fonder sur ses connaissances professionnelles et son jugement pour décider qui il faut prévenir de la situation. La façon la plus importante pour une infirmière de réduire la responsabilité civile consiste à assurer que les renseignements sur les risques sont signalés rapidement aux personnes compétentes.
Les infirmières peuvent corriger la situation elles-mêmes en réaffectant des ressources existantes et notamment en modifiant les priorités de la charge de travail, les affectations aux patients ou un plan de soins, ou en prenant d’autres mesures de soins infirmiers ou de sécurité. Quelle que soit sa décision, l’infirmière doit la documenter et en faire part à toutes les parties intéressées, y compris le médecin et le patient ou les membres de sa famille.
Lorsque le risque défini est relié au traitement médical, il faut le signaler sur-le-champ au médecin compétent. Toute omission ou tout retard pourrait exposer l’infirmière à une responsabilité. Il faut consigner soigneusement au dossier du patient tous les renseignements pertinents — y compris le nom du médecin qui a été prévenu et l’heure à laquelle il l’a été. Il faut aussi documenter la réponse du médecin et en faire part à tous les membres du personnel compétents.
Lorsque la direction de l’établissement est la seule à pouvoir contrer le risque repéré, comme en cas de mauvais fonctionnement de l’équipement, ou de manque d’équipement ou de personnel, l’infirmière doit en prévenir la direction de l’établissement. Elle peut le faire verbalement ou en recourant aux mécanismes établis pour signaler les incidents. La documentation de cette intervention peut protéger l’infirmière en cas de poursuite en justice en transférant à l’établissement la responsabilité devant la loi.
Il convient de souligner que le fait de signaler les risques liés à la sûreté ne réduit pas l’obligation que la loi impose à l’infirmière de s’acquitter de ses fonctions au meilleur de sa capacité et ne l’en absout pas non plus. Dans une affaire de relations de travail en Alberta, où les infirmières avaient soumis à l’employeur des « formules sur la responsabilité professionnelle » pour indiquer les situations dangereuses dont elles rejetaient la responsabilité, le tribunal a décidé qu’il incombait à tout professionnel, y compris à une infirmière, de faire de son mieux dans les circonstances. La perception qu’une infirmière a de conditions dangereuses ne lui donne pas le droit de refuser des instructions ou de rejeter sa responsabilité à l’égard du soin des patients.4
Le défi posé par la gestion des risques s’alourdit lorsque des collègues chevronnés sont remplacés par des infirmières volantes ou supplantées dans les domaines où elles ont peu ou pas d’expérience du tout, ou par des infirmières occasionnelles ou remplaçantes qui n’ont pas l’expérience pertinente. Dans ces scénarios, les risques pour la sécurité sont toutefois à court terme et il est possible de les gérer en donnant aux intéressées une orientation suffisante conformément aux politiques de l’établissement.
Même s’il incombe à l’employeur d’aider le membre du personnel à acquérir davantage de compétence dans les domaines où il vient d’être affecté, comme professionnelles, les infirmières sont aussi tenues d’actualiser leurs connaissances spécialisées pour assurer qu’elles sont compétentes dans une nouvelle situation en prenant des cours, en profitant des occasions d’éducation permanente et en faisant tout ce qu’il faut pour apprendre à connaître le domaine de pratique en cause.
Beaucoup d’organismes compensent la réduction du nombre des infirmières en augmentant celui des travailleurs auxiliaires, tant réglementés que non réglementés. Les employeurs insistent pour que beaucoup de services infirmiers soient délégués à ces auxiliaires. Là encore, la sécurité des patients préoccupe lorsque les auxiliaires en question n’ont pas la préparation scolaire nécessaire pour comprendre à fond tous les aspects des interventions infirmières qu’on leur confie.
Comme les médecins, les dentistes, les pharmaciens et d’autres professionnels peuvent déléguer certaines de leurs responsabilités aux infirmières, celles-ci doivent aussi déléguer une partie de leurs fonctions d’infirmière. La délégation est une nécessité devant la loi à cause des lois provinciales ou territoriales d’autorisation des professionnels. Elle sert à protéger les personnes à qui l’on délègue des tâches contre toute accusation portant sur l’exercice d’une profession sans permis. Les politiques d’un organisme de soins de santé, ainsi que les lignes directrices établies par les ordres professionnels d’infirmières, doivent régir le processus de délégation. Les fonctions ne peuvent toutes être déléguées. En cas de doute, les infirmières doivent consulter leur conseiller sur l’exercice de la profession.
La personne à qui une fonction infirmière est déléguée doit recevoir la formation ou l’éducation dont elle a besoin pour pouvoir s’en acquitter avec compétence. L’infirmière qui délègue des fonctions à une personne doit la superviser jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite que celle-ci peut exécuter la tâche en toute sécurité sans autre instruction. C’est la personne qui effectue l’intervention qui doit la consigner dans le dossier du patient, quel que soit son statut professionnel.
Par ailleurs, des infirmières autorisées peuvent être embauchées comme auxiliaires en soins de santé. L’infirmière est alors tenue de suivre les politiques et les procédures de l’employeur qui régissent les auxiliaires en soins de santé en ce qui concerne l’étendue des fonctions qu’elle exécute. Si une infirmière est prête à jouer ce rôle, la loi ne le lui interdit pas, mais elle pourrait perdre son permis d’exercice si son organisme d’autorisation ne reconnaît pas son activité comme du travail d’infirmière. Il peut aussi surgir des conflits entre les attentes de l’employeur et les obligations légales et éthiques de l’infirmière à l’endroit d’un patient.
Lorsqu’une infirmière autorisée est embauchée comme auxiliaire, elle demeure infirmière, quel que soit le titre du poste qu’elle occupe. L’employeur ne peut modifier le statut professionnel d’une personne. Cela signifie qu’une infirmière qui travaille à titre d’auxiliaire garde les responsabilités légales et éthiques de l’infirmière à l’endroit du patient. Si l’infirmière en question a des préoccupations au sujet d’un patient, s’il y a quelque chose qui tourne mal, ou en cas d’urgence, on s’attend à ce qu’elle se conforme à la norme légale de soin qui s’applique aux infirmières autorisées, à ce qu’elle réagisse comme le ferait une infirmière autorisée raisonnable et prudente.
De même, pour éviter une poursuite en justice ou éviter de perdre son permis d’exercice, l’infirmière qui travaille à titre d’auxiliaire doit avoir une conduite conforme aux normes éthiques établies par son ordre. Si l’employeur oblige une infirmière à agir d’une façon qui ne concorde pas avec ces normes légales et éthiques, l’infirmière peut se trouver dans un impasse et devoir quitter l’emploi pour protéger son permis d’exercer comme infirmière.
Si vous avez des préoccupations au sujet de l’étendue de votre pratique ou de la délégation de fonctions infirmières, il faut consulter le conseiller sur l’exercice de la profession de votre province ou territoire. En ce qui concerne votre responsabilité devant la loi, la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada offre des services gratuits et confidentiels de consultation avec une infirmière avocate.
Les bénéficiaires de la SPIIC peuvent communiquer avec la SPIIC au 1-800-267-3390 pour parler avec un conseiller juridique de la SPIIC. Tous les appels sont confidentiels.
- Kryworuk, Peter W., Butler, Brian T., et Otten, Allyson L., Potential Legal Liability in the Allocation of Scarce Health Care Resources, dans Health Law in Canada, Vol. 14, No. 4, p. 96.
- Rosenblatt, Rand E., Redefining Administrative Liability, dans HMQ First Quarter 1990, p. 12.
- Jinks v. Cardwell (1987), 39 C.C.L.T. 168 (Haute Cour de l’Ontario); (1989), O.J. No. 1492 (C.A.).
- Re Foothills Provincial General Hospital and United Nurses of Alberta, Local 115 (1989), 7 L.A.C. (4e) 359.
Remarque : Cet article, paru en novembre 1995, est réimprimé avec la permission de la revue Canadian Nurse / L’infirmière canadienne.
N.B.: Dans ce bulletin, le genre féminin englobe le masculin, et inversement, quand le contexte s’y prête.
LA PRÉSENTE PUBLICATION SERT STRICTEMENT À DES FINS D’INFORMATION. RIEN DANS CETTE PUBLICATION NE DEVRAIT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME L’AVIS JURIDIQUE D’UN AVOCAT, D’UN COLLABORATEUR À LA RÉDACTION DU PRÉSENT BULLETIN OU DE LA SPIIC. LES LECTEURS DEVRAIENT CONSULTER UN CONSEILLER JURIDIQUE POUR OBTENIR DES CONSEILS SPÉCIFIQUES.